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HISTOIRE DES BERBÈRES.

de Kotheïer[1]. On rapporte aussi un grand nombre de vers attribués au chérif et à sa femme. Bien que ces morceaux ne manquent pas de régularité et de cadence, ainsi que d’une certaine facilité d’expression, on y remarque des interpolations, des altérations et des passages controuvés. Les règles de la syntaxe désinentielle y sont tout-à-fait négligées ; mais, nous avons déjà établi, dans nos Prolégomènes, que l’absence des inflexions grammaticales n’influe nullement sur la juste expression de la pensée[2]. Il est vrai que les gens instruits, habitants des villes, n’aiment pas à entendre réciter de tels poèmes, parce que les désinences grammaticales n’y sont pas toujours exactes ; un tel défaut, selon leur idée, est radicalement subversif de la précision et de la clarté ; mais je ne suis pas de leur avis.

Comme nous l’avons dit, ces poèmes renferment des interpolations nombreuses, et, dans l’absence des preuves qui pourraient attester qu’ils nous ont été transmis sans altération, on ne doit y mettre aucune confiance. Il en serait bien autrement si nous avions la certitude de leur authenticité et l’assurance que la tradition orale les eût conservés dans leur intégrité primitive : alors on y trouverait des passages propres à confirmer l’histoire des guerres de cette tribu avec les Zenata, à déterminer les noms de ses chefs et à établir bien des circonstances qui la regardent. Quant à nous, il nous est impossible d’admettre que le texte de ces poèmes se soit conservé intact ; nous pensons même que tout esprit cultivé y reconnaîtra facilement des passages interpolés. Voilà tout ce que l’on peut dire à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, les membres de la tribu de Hilal s’accordent depuis plusieurs générations, à regarder comme vrai l’histoire du chérif et d’El-Djazia ; et quiconque serait assez hardi pour en contester l’authenticité ou même exprimer des doutes, s’exposerait à être accusé de folie ou d’ignorance : tant cette tradition est générale chez eux.

  1. Les amours de Caïs et Leila, et de Kotheïer et Azza sont très-célèbres chez les poètes arabes. La vie de Kotheïer se trouve dans Ibn-Khallikan, traduction, vol. ii, p. 529.
  2. Voy. l’Anthologie grammaticale arabe, de M. de Sacy, p. 410.