Page:Ibsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvu/14

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doit avoir étudié sur nature cette figure épisodique qui, bien représentée sur la scène, est d’un effet inoubliable. Mais il en est une autre, plus fouillée, plus saisissante de réalité : c’est celle du fils d’Ekdal, d’Hialmar, le photographe, le faux artiste, le faux génie, le faux caractère, avec qui, plus qu’avec tout autre, c’est vraiment peine perdue de faire de l’apostolat. Ah ! pour lui la rédemption elle-même n’est qu’un sacrifice inutile : nous le voyons à la mort de sa fille Hedwige, qui ne fournira à cet homme qu’un thème à pose et à déclamation.

Cela n’étonne nullement le docteur Relling, ce cynique bienfaisant qui entretient chez les autres le mensonge vital auquel il ne croit pas lui-même. Une façon à lui de comprendre l’idéal et de le défendre contre des idéalistes, contre des exaltés comme ce malheureux Grégoire Werlé. On raconte qu’un acteur norwégien s’est composé le masque d’Ibsen pour jouer le rôle de Relling. Le procédé est grossier, mais l’idée est à demi exacte, quoi qu’en disent les critiques. Seulement, pour être tout à fait dans le vrai, le comédien qui représentait Grégoire aurait dû se faire également la tête du dramaturge. En effet, l’antagonisme de ces deux personnages sur la scène n’est qu’un reflet du combat qui s’est livré dans son âme et auquel nous devons la plus pessimiste de ses œuvres. Car Relling finit par triompher de Grégoire. Et, sceptique jusqu’au bout, il ne croit pas même à l’accomplissement du projet de suicide que celui-ci conçoit à la fin de la pièce.

Quel abîme de réflexions désolées s’est ouvert devant les yeux d’Ibsen quand il eut constaté avec son vigoureux bon sens qu’un esprit comme le sien ne pouvait