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ROSMERSHOLM

kroll. — Es-tu bien sûr de l’entière irresponsabilité de Félicie ? Dans tous les cas, les médecins ne se prononçaient pas avec cette certitude.

rosmer. — Si les médecins avaient pu la voir dans l’état où je l’ai vue si souvent moi-même, et cela durant des journées et des nuits entières, ils n’auraient pas eu le moindre doute.

kroll. — Je n’en avais pas non plus, à cette époque.

rosmer. — Ah non, mon ami, le doute n’était malheureusement pas possible ! Je crois t’avoir parlé de cette passion sauvage, effrénée qu’elle me demandait de partager. Oh ! quelle épouvante elle m’inspirait ! Et puis ces reproches sans motifs qu’elle se faisait et qui l’ont torturée pendant ces dernières années.

kroll. — Oui, quand elle a su qu’elle ne pourrait jamais être mère.

rosmer. — Tu vois bien. Se livrer à un si violent désespoir, se tourmenter de la sorte pour un fait dont elle n’était nullement responsable ! Qui peut prétendre qu’elle eût tout son bon sens ?

kroll. — Hm — Te souviens-tu si, à cette époque, tu avais chez toi des livres traitant du vrai sens du mariage d’après les idées avancées de notre temps ?

rosmer. — Je me souviens que Mlle West m’avait prêté un ouvrage de ce genre. Elle a hérité, comme