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ROSMERSHOLM

kroll. — Non, certes, on ne peut pas vous accuser d’exaltation. Et c’est cela qui vous rend si dangereuse pour les personnes sur lesquelles vous voulez établir votre empire. Il vous est facile d’agir avec délibération, de calculer juste, précisément parce que vous avez un cœur froid.

rébecca. — Un cœur froid ? Vous en êtes sûr ?

kroll. — J’en suis tout à fait sûr maintenant. Auriez-vous pu, sans cela, poursuivre votre but, d’année en année, avec cette impassible fermeté. Oui, oui, vous avez réussi. Lui, et tout ici est en votre pouvoir. Mais, pour y arriver, vous n’avez pas craint de le rendre malheureux.

rébecca. — Ce n’est pas vrai, ce n’est pas moi, c’est vous-même qui le rendez malheureux.

kroll. — Moi !

rébecca. — Oui ; en lui faisant croire qu’il est responsable de la terrible fin de Félicie.

kroll. — Ah ! cela lui a donc fait une si violente impression ?

rébecca. — Pouviez-vous en douter ? Une âme tendre comme la sienne…

kroll. — Je pensais qu’un homme émancipé, comme on dit, savait se mettre au-dessus de tous les scrupules de ce genre. Mais voilà ! Oh oui ! au fond j’en étais convaincu. Le descendant des hommes qui nous regardent ici (il montre les portraits d’un geste) ne pourra jamais se défaire des sentiments