Page:Ibsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvu/73

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ekdal. — Vous êtes venu me voir ? Non, non, non, je ne me souviens pas de ça. Mais ce que j’ose dire, c’est que j’ai été un rude chasseur, moi. J’ai tué des ours. J’en ai tué neuf, rien que ça.

grégoire, le regardant avec compassion. — Et maintenant vous n’allez plus jamais à la chasse ?

ekdal. — Dites pas ça, petit père… Chassons encore de temps en temps… Pas comme ça, non… Pour ce qui est de la forêt, vous savez, — la forêt, la forêt !… (Il boit.) Les bois vont bien à l’heure qu’il est ?

grégoire. — Pas comme de votre temps. On a beaucoup abattu.

ekdal. — Abattu ? (Baissant la voix comme pris de peur.) C’est dangereux d’abattre. Ça a des suites. La forêt se venge.

hialmar, remplissant le verre d’Ekdal. — Allons, père, encore une goutte.

grégoire. — Comment un homme comme vous, habitué au grand air, peut-il vivre dans la fumée d’une ville, entre ces quatre murs ?

ekdal, souriant un peu et clignant de l’œil à Hialmar. — Oh ! on n’est pas si mal ici, pas si mal du tout.

grégoire. — Mais… Mais toutes les conditions auxquelles vous étiez fait là-haut, l’air frais et vivifiant, la vie libre des forêts et des grands plateaux, le gibier de plume et de poil ?