Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/55

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à l’étranger comme les autres femmes. Je pleurais, je suppliais et je lui disais qu’il fallait qu’il se rendît compte de mon état et qu’il cédât à mon désir. Bref, je lui donnai à entendre qu’il pourrait bien emprunter de l’argent à intérêt, mais alors, Christine, il s’en fallut de peu qu’il ne se mît en colère. Il me répondit que j’étais une étourdie et que son devoir de mari était de ne pas se plier à mes caprices. « Bon ! bon ! dis-je à part moi, on le sauvera coûte que coûte ». Ce fut alors que je trouvai l’expédient.

Madame Linde.

Et ton mari ne sut pas par ton père que l’argent ne venait pas de lui.

Nora.

Jamais il ne l’a su. Papa mourut peu de jours après. J’avais pensé à tout lui avouer en lui demandant de ne pas me trahir, mais il était si malade ! hélas ! je ne pus pas lui en parler.

Madame Linde.

Et depuis tu ne t’en es pas confessée à ton mari.

Nora.

Jamais, bon Dieu ! Y penses-tu ? lui qui est si sévère là-dessus ! Puis son amour-propre masculin en serait si froissé. Quelle humiliation de savoir qu’il me doit quelque chose. Cette pensée serait venue bouleverser tous nos rapports ; notre vie domestique si heureuse ne serait plus ce qu’elle est.

Madame Linde.

Tu ne lui en parleras jamais.

Nora, réfléchissant et souriant à demi.

Il se peut qu’avec le temps, quand bien des années auront passé, quand je ne serai plus aussi jolie qu’aujourd’hui… Ne ris pas… je veux dire quand Torvald ne m’aimera plus autant, quand il n’aura plus de plaisir à