Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/306

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nous aient pas laissé des détails plus circonstanciés et plus impartiaux sur les remarquables qualités qui ont fleuri, dans la vie sauvage. Les rares anecdotes qui sont parvenues jusqu’à nous sont pleines d’intérêt et d’originalité ; elles nous offrent des échappées de la vraie nature humaine, et montrent ce qu’est l’homme dans un état comparativement primitif, et ce qu’il doit à la civilisation. Il y a quelque chose du charme de la découverte à s’arrêter sur ces sentiers pittoresques et inexplorés de la nature humaine ; à assister, pour ainsi dire, au développement naïf du sentiment moral ; à voir ces généreuses et romanesques qualités qui ont été artificiellement cultivées par la société s’épanouir dans leur hardiesse spontanée, dans leur rude magnificence.

Dans la vie civilisée, où le bonheur de l’homme, et je dirai presque son existence, dépend si fort de l’opinion de ses semblables, il joue constamment un rôle étudié. Les traits hardis et originaux du caractère natif disparaissent sous la culture, ou sont adoucis, usés par l’influence niveleuse de ce qu’on est convenu d’appeler une bonne éducation ; et il met en œuvre tant de mesquines tromperies, affecte tant de sentiments généreux, dans le but de se concilier la faveur des autres, qu’il est difficile de distinguer son caractère vrai de son caractère artificiel. L’Indien, au contraire, libre des entraves et des raffinements de la vie polie, et à un haut degré être solitaire et indépendant, obéit aux impulsions de ses désirs ou aux prescriptions de son jugement ; il en résulte que les attributs de sa nature, étant librement satisfaits, deviennent singulièrement nobles et frappants. La société ressemble à une pelouse, où toute inégalité de surface est aplanie, où il n’est pas resté une ronce, et où l’œil est charmé par la riante verdure qu’offre une surface veloutée ; celui qui veut étudier la nature dans son éclat vierge et dans sa variété doit s’enfoncer dans la forêt, explorer le vallon, remonter le torrent et affronter le précipice.

Ces réflexions me vinrent en feuilletant par hasard un volume qui traitait de l’histoire des anciennes colonies, où sont rapportés avec une grande amertume les outrages des Indiens et leurs luttes contre les colons de la Nouvelle-Angleterre. Il est douloureux d’y voir (et cela se voit même à travers ces récits partiaux) les pas de la civilisation s’empreindre dans le sang des abori-