Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
28

quinze, reste vingt, garantie du patron. T’auras plus rien avant le règlement du mois. Faut plus qu’onze jours.

Un instant, Zulma regarda le gros registre, cherchant par où elle devait l’empoigner pour en écraser plus sûrement le crâne du vieux gratte-papier. Mais cette pensée mauvaise ne dura pas. Avec un nouveau haussement d’épaules, et autant de chic que la première fois, elle répéta, le sourire aux lèvres : « M’en fous ! »

— Tant mieux pour toi ! répondit le secrétaire. Et, de sa vieille voix de rogomme, il cria : À une autre !

Souriante et calme, Zulma retraversa le foyer.

— Où vas-tu ? demanda la grosse Loulou.

— Cherche une voiture pour emporter ma galette, riposta l’effrontée. Y’ en a trop, j’pourrais jamais porter tout ça.

Et elle sortit, parmi les rires, riant plus fort que les autres.

Elle alla entrebâiller la porte du Café des Artistes. Seule, dans son comptoir, la grosse maman Adèle se curait les dents.

— Y’ a personne ? demanda la petite.

Sans cesser de fouiller au creux de ses molaires, la vieille dame secoua négativement la tête. Zulma referma la porte, enfila deux ou trois rues, s’arrêta devant le restaurant du Filet de Bœuf, et jeta un coup d’œil à l’intérieur, entre deux rideaux mal joints. Trois cabots achevaient leur demi-tasse, et un vieil employé, qui prenait là sa pitance, mâchonnait lentement, le nez dans un journal.

Au café Lucien, même veine : rien que deux types de pannés jouant aux dominos, tandis que le garçon dormait, vautré sur une banquette.