Aller au contenu

Page:Ista - Par un beau dimanche, 1921.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
par un beau dimanche

che de sa fourchette, d’un geste menu, tout juste visible, évoluant à quelques millimètres à peine au-dessus de la table.

Le docteur n’eût attaché aucune importance à ce fait s’il n’avait lu la veille, précisément, un article de revue sur l’écriture fort peu sténographique. des tables spirites : un coup pour la lettre A, deux coups pour la lettre B, etc., jusqu’à vingt-cinq coups pour la lettre Z.

Machinalement, sans songer le moins du monde à se mêler des affaires d’autrui, le vieil oncle compta les coups que Marie frappait par petites séries irrégulières, bien détachées l’une de l’autre : un… neuf… treize… cinq coups, puis, plus rien. Les deux mains sous la nappe, le docteur fit le compte alphabétique sur ses doigts : un = A… neuf = I… treize = M… Cinq = E… Soit : A, I, M, E.

— Singulier hasard, pensa-t-il. Une lettre de plus, et cette jeune amoureuse écrivait sans le savoir le verbe : aimer.

À ce moment, il vit le jeune homme au chapeau gris, assis juste en face d’eux de par la volonté de Mérance, s’essayer à son tour au presque imperceptible tapotement. Le docteur compta les coups, bien entendu : Dix… cinq… vingt… un… neuf… treize… cinq… puis plus rien… Soit : dix = J… cinq = E… vingt = T… un = A… neuf = I… treize = M… cinq = E… Total : Je t’aime !

Marie, à son tour, recommençait déjà : Dix… cinq… vingt… un… etc…

Et le docteur comprit le puéril et sublime stratagème : à la barbe du père impitoyable, des inconnus gourmés et cérémonieux, ces enfants se disaient leur amour, sans relâche, sans fatigue, depuis le commencement du repas. Pendant deux ou trois minutes, M. Brusy, plongé dans une immobilité cataleptique, con-