Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/147

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— Te prendre pour modèle, je veux bien ; seulement c’est un conseil absurde, un conseil de vieille fille qui doit priser en cachette… Est-ce qu’il suffit de prendre Raphaël, Van Dyck, Quentin Matsis ou Hutchinson comme modèle, pour devenir un grand artiste !… Seulement je t’aime, ma Lilian, je t’aime de tout mon cœur. Voilà pourquoi j’ai reconnu que ton cœur n’était pas à moi ; pourquoi je t’ai taquinée, afin que tu m’avoues tout.

— Je n’ai rien à avouer, chère folle.

— Ta, ta, ta, si tu te figures que tu vas m’en imposer.

— Oh ! je ne me permettrais pas de douter de ta perspicacité.

— Et tu fais bien, car je sais tout… Oui, ma belle Lilian, tout, tout, ce qui s’appelle tout. Si tu ne veux pas me le raconter, je me chargerai du récit… Tu n’auras à la fin qu’à ajouter ton : pour copie conforme… Et tu aimeras bien ta confidente, ce que je souhaite par-dessus tout, car une confidente, tous les classiques le disent, c’est ce qu’il y a de plus précieux pour une personne atteinte d’un tendre sentiment.

La rougeur de miss Allan augmenta. Elle chercha à se dégager de l’étreinte de son amie.

— Tu es en proie à un rêve, commença-t-elle…

Mais Grace ne lâcha point prise, et entraînant son amie, elle la fit asseoir sur une banquette cannée, placée devant la petite table de travail, chargée de livres et de cahiers.

— Là, chérie, prends un siège, comme dit Auguste dans Cinna, et sur toute chose… laisse-moi tranquillement te détailler ton mal en prose. La rime est bonne, le vers serait un peu long au goût de Corneille, mais comme c’est un auteur du Vieux Monde, cela m’est égal.

En dépit de sa tristesse réelle, Lilian ne put s’empêcher de sourire.

— Donc, reprit la mutine Grace, je commence.

— À quoi bon ? soupira son interlocutrice.

— À te démontrer que je suis ton amie véritable, puisque je lis dans ton esprit et que je souhaite partager avec toi ta tristesse.

— De quelle tristesse parles-tu, ma chère folle ?

— Si tu m’interromps toujours, je n’arriverai jamais à placer les résultats de mon enquête… ; oui, mademoiselle, de mon enquête. Soyez respectueuse,