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L’HOMME SANS VISAGE

Je levais le pied pour enjamber la margelle ; mais je me ravisai. Des étrangetés de cette nuit féconde en aventures, je ne voulais rien ignorer.

Il ne suffit pas de voir, il faut comprendre.

Comment mon « beau-père » avait-il obtenu la baisse du niveau de l’eau tout à l’heure ?

Je supposais bien qu’il existait une clef, mais je tenais à le pouvoir affirmer. À ceux qui s’étonneraient de me voir arrêté à ce menu détail, je répondrai qu’une enquête de reportage est composée de « détails ». Et l’enchaînement des faits s’obtient presque toujours en ne négligeant aucun de ceux-ci, si futiles semblent-ils à première vue.

J’avais remarqué l’endroit où le comte s’était baissé, où ses mains avaient fouillé l’herbe.

Et comme le glou-glou de l’eau courante avait coïncidé avec ce geste, je cherchai à la même place.

Presque aussitôt, mes doigts rencontrèrent la poignée d’une de ces clefs fixes en T, qui commandent la manœuvre des appareils hydrauliques.

Je m’y attendais, mais il me fut agréable de constater que mon raisonnement ne m’avait pas égaré. De plus, mon explication de l’avatar en légende du fait réel devenait rigoureusement exacte. La clef, muée en formule magique, déterminant l’écoulement ou l’endiguement de l’eau.

Mais le temps n’est pas propice aux colloques intérieurs où l’on ratiocine avec soi-même… Il court, le comte, pendant que je philosophe sur une clef en T. Rattrapons-le… Car je veux savoir où il court… Je veux surtout l’empêcher de mettre le document britannique sur la route d’Allemagne.


IX

OÙ CONDUIT L’ARCHÉOLOGIE


Hop, la margelle franchie, je suis sur l’échelle de puisatier. C’est un jeu qu’une descente semblable ; un enfant s’en tirerait sans peine.

Je ne me suis pas trompé, une ouverture étroite est percée dans la paroi, sa partie inférieure affleurant la masse liquide, et à la lueur diffuse qui tombe des étoiles, de ces petits soleils radiant au delà même de l’infini expérimental, je distingue les premières marches d’un escalier de pierre.

J’en compte trois. Après, les degrés se perdent dans un noir absolu… Plus aucun rayonnement n’arrive là.

Mais je devine que la montée se prolonge, qu’elle dépasse le niveau le plus élevé auquel les infiltrations, qui alimentent le Puits du Maure peuvent conduire la colonne aqueuse.

Cela est évident. Cet escalier aboutit en un endroit quelconque. Et cet endroit ne doit pas être inondé, sans cela les papiers du Foreign-Office n’auraient pas pris ce chemin.

J’écoute. Aucun bruit. Il me passe par l’esprit que le comte, ayant reconnu qu’il était suivi, m’attend peut-être, au fond de l’obscurité et que…

Tant pis ! Quand on descend dans un puits pour y trouver la vérité et la Paix de l’Europe, on n’espère pas y rencontrer un lit de roses.

Pour l’England, for ever !

Si je suis surpris, si je suis frappé ; au moins serai-je victime pour une cause qui en vaut la peine.

Une petite pensée émue à Miss Niète et, en avant.

Les mains tâtant les murailles latérales, ce qui à la fois guide et assure ma marche, je gravis l’escalier. Je compte vingt-sept marches… À raison de vingt centimètres l’une, c’est la hauteur moyenne des degrés dans les constructions modernes, je me suis donc élevé vers la surface du sol de cinq mètres quarante.

Évidemment, les eaux n’atteignent jamais cette hauteur.

Ici, l’escalier finit brusquement. Le terrain devient plan. J’ai l’impression d’un couloir étroit s’allongeant en avant de moi.

Et j’étouffe à grand’peine une exclamation.