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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

Log fit entendre un sonore éclat de rire. Sa main s’étendit vers le lac, désignant les deux outres flottantes que Joyeux et Sourire avaient remarquées, lors de leur arrivée sur la falaise.

— Interrogez-les donc, car les voilà.

— Que prétendez-vous exprimer ? balbutia le jeune homme stupéfait.

— Ce qui est. J’ai voulu sceller les lèvres susceptibles de me trahir ; j’ai voulu aussi éviter le bruit qu’eût causé l’assassinat avéré de deux serviteurs des temples.

— Et… ?

Les prisonniers prononcèrent ensemble ce monosyllabe.

— Très simple. Je les ai introduits, les pieds en avant, dans des sacs imperméables se nouant à la ceinture. J’ai fait gonfler les sacs comme des roues d’automobile… Ainsi vêtus, je les ai mis à flot sur le lac… Et la pesanteur, qui veut que l’équilibre d’un corps s’établisse stable, lorsque le centre de gravité est au-dessous du point de suspension, a fait que le sac d’air est resté à la surface, tandis que le corps et la tête allaient au fond. Il y a environ une heure que les vénérés bonzes sont dans cette position ; il est donc certain qu’ils ne parleront plus. Je vais les dépouiller de leurs « flotteurs ». Comme leurs corps ne portent aucune trace de violence, leur trépas sera réputé accidentel… Et ils imploreront les dieux pour moi, car je leur ai assuré la félicité éternelle, en ne les affligeant pas de la plus légère blessure[1].

Un lourd silence suivit, que rompit l’organe de Log, concluant d’un ton léger :

— Vous avez saisi. Je vous tiens tous. Allez vous reposer, prenez des forces, car vous m’accompagnerez, l’heure venue, dans la ville de Kiao-Tcheou, peuplée de morts.

Ni Dodekhan ni le duc ne répondirent.

En face de la formidable intrigue ourdie par leur geôlier, ils se sentaient écrasés.

Mais Log, la face joyeuse, ravi sans doute de voir ses adversaires désemparés à ce point, leva la main !

  1. Le respect du corps donné à l’homme par Bouddha, l’intégrité absolue de ce corps à l’instant du trépas, est la condition sine qua non du salut bouddhique.