Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/145

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toi qui présentement es le fiancé de Rana, une vieille sorcière, de Hato, la femme passée au bleu, et qui te portes vers Darnaïl laquelle peut-être, au train dont vont les choses, a un œil de verre, un nez postiche, un bec de lièvre et une jambe d’acajou.

Il allait, il allait, nerveux, parlant d’abondance.

— Je ne croyais pas te faire de la peine, parvint enfin à placer Albin. J’ignorais qu’en travaillant à mon succès, tu t’étais brûlé aux beaux yeux de Mlle Lisbeth.

— Moi, brûlé… tu es fou… est-ce que j’ai l’air ?…

Morlaix n’ajouta rien. À la dernière question formulée par lui-même, il lui avait semblé que son cœur répondait :

— Mais oui, mais… c’est l’affection. Où est le mal ? Voilà une jeune fille, fort mal élevée, je te l’accorde, mais qui s’en rend compte, qui ne rêve que de t’obéir. Trouve donc beaucoup de fiancées aussi modestes, aussi soumises.

Ces réflexions qui, il ne sut jamais pourquoi, le remplirent de joie, il ne les communiqua pas à son ami.

Au surplus, le moment eût été mal choisi.

La passerelle avait été lancée, et les passagers débarquaient, se rendant sous un vaste hangar affecté aux opérations de la douane.

Les douaniers hollandais, pâles, blonds, vêtus de brillants uniformes et faisant brimballer d’énormes trousseaux de clefs, examinèrent les voyageurs d’un air défiant, soupçonneux. Ils sont intraitables ces fonctionnaires, à Batavia ; leurs yeux fouillent littéralement les poches des infortunés contraints de passer sous leurs fourches caudines.

Soudain Morlaix tressaillit.

Albin venait de pousser une légère exclamation et sa main se crispait sur le bras de son compagnon.

— Qu’as-tu ?

Du regard, Gravelotte désigna la passerelle.

Trois personnes la traversaient à ce moment : deux femmes, un homme. Tous trois en habits européens, les dames ayant leur chapeau agrémenté de l’immense voile bleu qui signale les Américaines en voyage.