Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/240

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— Un amoureux est un mauvais factionnaire !

Jean le démontra une fois de plus.

À peine installé à son affût, il se mit à penser à la charmante Stella, éprouvant une joie, presque douloureuse à force d’intensité, à se remémorer les moindres détails du voyage, depuis l’instant où il avait aperçu la jeune fille à la croisée de l’habitation Roland jusqu’à celui-ci : la traversée de Fort-de-France à Maranhao, les longues flâneries sur le pont, les causeries confiantes, puis l’entrée dans le port.

Puis Massiliague et ses amis passaient dans le rêve.

Il les revoyait à l’hôtel. Il revivait les heures où, insouciant du fléau, il jouait du drapeau de la fièvre Jaune pour échapper aux amis trop zélés de la Mestiza.

Et de nouveau c’était la mer, l’entrée dans l’estuaire de l’Amazone, l’embarquement avec les noirs Bonis.

Jean se remémorait l’appontement de bois, les bateaux du fleuve alignés, la proue au rivage, les équipes de nègres se disputant les rares voyageurs, se livrant à de véritables enchères, enchères descendantes, par exemple, chaque groupe de bateliers essayant de décider les clients par une offre plus avantageuse.

La montée du fleuve commençait.

Les forêts succédaient aux llanos. À de très grandes distances, des bourgades se montraient, donnant l’impression de clairières habitées, au milieu du désert grandiose, où les végétations luxuriantes et les fauves régnaient encore en maîtres.

Les jours ensoleillés, pendant lesquels les bateliers chantaient de bizarres mélopées, tout en évitant avec adresse les arbres flottants ou ceux à l’ancre ; les nuits étoilées ou, sur le fleuve voilé de blanches vapeurs, l’embarcation demeurait stationnaire, comme endormie, tandis que sur les rives retentissaient les rugissements du puma ou du jaguar en chasse, les grognements des pécaris, les cris des singes, l’aboi enroué du coyote, l’ébrouement du tapir ; tout lui revenait à l’esprit.

Souvent il devait rassurer sa compagne, éveillée