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DES SANDWICH À LA CÔTE CHINOISE.

— D’abord, vous me ferez part du résultat de vos recherches.

— Avec joie, vous le savez bien, mademoiselle.

— Puis, avait continué la jeune fille sans paraître remarquer l’intonation caressante de son interlocuteur, vous prendrez soin de ne point égarer mon document « céleste », car à mon retour à Londres, je veux le placer dans une vitrine avec cette mention : « Pièce franc-maçonnique chinoise trouvée dans l’estomac d’un requin près d’Honolulu. »

— Et toutes vos amies envieront un pareil souvenir.

— Vous l’avez dit.

Ainsi engagée, la conversation s’était portée tout naturellement sur la Chine, ce mystérieux empire des fils de Han, où quatre cent millions d’hommes de race jaune empêchent, par la seule force du nombre, la pénétration européenne.

— Peuple étrange, dit Armand. Tout d’abord il s’est élevé jusqu’à un haut degré de civilisation ; puis il est demeuré stationnaire, permettant à l’Occident barbare de le dépasser. Je ne vous parlerai ni de la boussole, ni de la poudre, connues dans l’empire du Milieu plusieurs siècles avant que la race blanche les découvrit. On peut prétendre que ces inventions sont le résultat du hasard, mais l’hypothèse de la sphéricité de la terre indique un raisonnement scientifique avancé, n’est-ce pas ? Comme moi, vous savez que le pressentiment de cette vérité ne se fit jour dans le monde chrétien qu’au quinzième siècle, — et qu’en 1492, lorsque Christophe Colomb quitta l’Espagne avec ses trois caravelles, pour en fournir la démonstration expérimentale en allant chercher ce qu’il croyait être l’Inde asiatique, la plupart des savants du temps le raillèrent agréablement… Eh bien, la preuve était faite en Chine dès l’année 203 de notre ère. Le « Colomb » asiatique, Li-Paï-Chun, parti aventureusement sur une jonque grossière, avait abordé dans le golfe de Californie. Séduits par ses récits, ses compatriotes formèrent une seconde expédition en l’an 206 ; mais les navires qui la composaient furent dispersés par la tempête, et Li-Paï-Chun vint échouer sur le récif Krusenstein, voisin des îles Hawaï, où il mourut misérablement.

L’histoire avait intéressé miss Aurett. Aussi apprenant que le Heanvenway passerait au Nord du récif, elle aurait voulu jeter un regard sur ce rocher incessamment battu par les flots, tombeau mélancolique du voyageur chinois. Et puis c’était la dernière terre qu’elle pourrait apercevoir avant l’escale japonaise de Nagasaki, car la route du steamer laissait loin au Sud les archipels Anson et de Magellan.

Les jours suivants, aucun incident ne troubla la monotonie de la tra-