Page:JORF, Débats parlementaires, Sénat — 10 juillet 1940.pdf/6

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pense, de désigner, pour examiner le projet de loi constitutionnelle qui vient d'être déposé, une commission spéciale composée de trente membres. (Mouvements divers.)

Sur de nombreux bancs. Aux voix !

M. Piétri. Ne vous semble-t-il pas, messieurs, que nous perdrions un temps précieux à nommer une commission spéciale de trente membres et qu'il serait infiniment plus expédient de renvoyer le projet de loi devant la commission de la législation civile du Sénat et la commission du suffrage universel de la Chambre des députés réunies ? (Très bien ! très bien !)

M. de Courtois. Mon cher collègue, vous êtes allé au-devant de ma pensée. Je voulais demander à l'Assemblée de désigner une commission de trente membres, lesquels seraient choisis, vingt parmi les membres de la commission du suffrage universel de la Chambre des députés, et dix parmi les membres de la commission de la législation civile du Sénat.

Si vous en décidez ainsi, les deux commissions pourraient se réunir dès maintenant, afin de désigner les membres de la commission constitutionnelle.

M. Antoine Cayrel. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Cayrel.

M. Antoine Cayrel. Messieurs, je crois que, dans les circonstances que nous vivons, notre Assemblée ne doit pas s’embarrasser d'un formalisme périmé. (Applaudissements.) Et autant, après consultation avec M. le président de la commission de la législation civile du Sénat, avant notre réunion, j'étais prêt, au nom de la commission du suffrage universel, à accepter la proposition qu'il me faisait, autant je pense qu'il est utile que notre Assemblée délibère rapidement ; et je suis certain que j'interprète la pensée de mes collègues, membres de la commission que je préside, en vous demandant de renoncer à ces prérogatives inutiles et puériles (Applaudissements) et en priant l'Assemblée nationale de se prononcer immédiatement. (Nouveaux applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Je remercie mon ami M. Cayrel de son intention, mais je pense que nous pourrions et simplement adopter la proposition qui a été faite par M. Piétri (Très bien ! très bien !) et soutenue par notre ami M. de Courtois, et décider, sans plus attendre, que la commission spéciale chargée d'examiner et de rapporter le projet, comprendra les membres de la commission de législation civile du Sénat et ceux de la commission du suffrage universel de la Chambre.

Pourquoi ?

Parce que l'une et l'autre de ces commissions, devant l'une et l'autre Assemblée, ont déjà examiné notre projet, et qu'il leur suffira de désigner, d'un commun accord, un rapporteur unique.

Je demande à l'Assemblée d'adopter cette procédure qui permettra de gagner du temps. (Applaudissements.)

M. le président. Aux termes de la proposition que vous venez d'entendre, le projet de loi constitutionnelle serait renvoyé à une commission composée de la commission du suffrage universel de la Chambre des députés et de la commission de législation du Sénat.

Monsieur de Courtois, vous ralliez-vous à cette proposition ?

M. de Courtois. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix cette proposition.

(La proposition, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. J'invite, en conséquence, les deux commissions à se réunir sans délai.

M. Jean Taurines. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Taurines.

M. Jean Taurines. Messieurs, ce matin, vous avez eu connaissance du contre-projet présenté par les sénateurs anciens combattants. Dans le but d'obtenir certaines précisions, et indépendamment de la concession qui nous a été accordée par le Gouvernement, nous demandons que la commission de législation civile du Sénat et la commission du suffrage universel de la Chambre veuillent bien entendre nos délégués (Mouvements divers) qui s'efforceront d'obtenir que figurent dans le rapport certaines précisions qui vous feront un devoir de soutenir le Gouvernement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. J'appuie la proposition de M. Taurines qui demande, afin de simplifier le débat,...

M. de Courtois. Évidemment !

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. ...que les auteurs du contre-projet puissent être entendus par la commission, dans l'espoir, d'ailleurs exprimé par M. Taurines, que nous n'aurons pas ensuite à le discuter en séance publique.

M. le président. J'invite donc les membres des deux commissions à vouloir bien se réunir pour l'examen du projet de loi constitutionnelle.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante minutes, est reprise à dix-sept heures quinze minutes.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Boivin-Champeaux pour le dépôt et la lecture de son rapport.

M. Boivin-Champeaux. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale le rapport fait, au nom de la commission spéciale, sur le projet de loi constitutionnelle.

M. le président. Veuillez donner lecture de votre rapport.

M. Boivin-Champeaux. Messieurs, le texte soumis à vos délibérations tend, dans sa brièveté, à régler à la fois le présent et l'avenir de la France.

Il donne au Gouvernement du maréchal Pétain les pleins pouvoirs exécutif et législatif. Il les lui donne sans restriction, de la façon la plus étendue.

La tâche à accomplir est immense. Nous sommes assurés qu'avec le grand soldat qui préside aux destinées du pays, elle sera menée à bien.

Le texte donne, en second lieu, au Gouvernement, les pouvoirs constituants. Je crois devoir faire ici, au nom de mes collègues, une déclaration solennelle.

L'acte que nous accomplissons aujourd'hui, nous l'accomplissons librement. Si nous vous demandons une réforme, c'est qu'ainsi que les Chambres l'ont manifesté à une immense majorité, nous avons la conviction profonde qu'elle est indispensable aux intérêts de la patrie.

Il n'y a rien à ajouter à ce que nous avons dit hier, les uns et les autres, sur cette nécessité absolue.

En ce qui concerne les modalités, nous avons deux observations à formuler. Il faut aboutir rapidement. Nous admettons que la constitution soit étudiée et promulguée sous l'égide et l'autorité de M. le maréchal Pétain.

Le seul problème est celui de la ratification des institutions nouvelles. La souveraineté nationale est, à nos yeux, non pas une fiction, mais une réalité vivante. (Applaudissements.) Il suffit de jeter les yeux sur notre histoire pour voir qu'une constitution ne peut vivre si les institutions nouvelles ne sont pas l'expression, je ne dis pas seulement des besoins, mais de la volonté du pays.

La ratification des institutions par ceux-là mêmes qui devaient en être les bénéficiaires était manifestement insuffisante. Nous savons gré au Gouvernement, se ralliant à la thèse soutenue par les anciens combattants, d'avoir modifié son texte et décidé que la constitution serait ratifiée par la nation.

Il est expressément entendu que le texte du Gouvernement doit être interprété en ce sens que la ratification de la constitution et l'élection des assemblées devra faire l'objet de deux votes distincts.

Que sera cette nouvelle constitution ? Nous ne savons que ce qui nous a été dit par un exposé des motifs dont nous ne pouvons par ailleurs qu'approuver les termes : patrie, travail, famille. L'image de la France ne serait pas complète s'il n'y figurait pas certaines libertés pour lesquelles tant de générations ont combattu (Applaudissements.)

Une constitution, quelle qu'elle soit, s'écroulerait rapidement si elle ne respectait pas les traditions et le génie de la France. C'est une France libre, monsieur le maréchal, que, il y a vingt ans, vous avez conduite à la victoire. Vous nous demandez un acte sans précédent dans notre histoire. Nous l'accomplissons comme un acte de foi dans les destinées de la patrie, persuadés que c'est une France forte qui sortira de vos mains. L’œuvre ne serait pas complète si le Gouvernement n'y ajoutait pas une action spirituelle et morale. La France est tombée moins à cause de l'insuffisance des textes que par la déficience des énergies et des âmes. (Applaudissements.)

Ancien combattant, je me souviens avec quel amour, quelle humanité, quelle énergique douceur, à une période douloureuse de notre histoire, en 1917, le maréchal Pétain s'est penché sur nos armées meurtries et en a refait des armées victorieuses. C'est la France tout entière, aujourd'hui, qui est meurtrie.

Enfin, messieurs — et c'est le dernier point que j'ai à traiter devant vous — il va falloir régler la période intermédiaire, celle qui va s'étendre jusqu'au bout où fonctionneront les institutions nouvelles.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil, a fait à la commission spéciale la promesse que, dès cette semaine, serait promulgué un acte laissant subsister les deux Chambres jusqu'au fonctionnement des institutions nouvelles. Étant donnée la délégation de pouvoirs, leur activité sera nécessairement réduite. Je suis persuadé, néanmoins, que, dans les circonstances tragiques que nous traversons, leur existence sera, pour le Gouvernement, à la fois une force et un soutien.