Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/10

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— En cas d’attaque, dis-je à mes compagnons, je pense que nous ne partirons pas les uns sans les autres.

— C’est ainsi que je l’entends, répondit Pélissard.

— N’aie pas peur ! Se contenta de dire Bour.

En débouchant dans la rue Saint-Gilles, nous marchâmes en file indienne, dans l’ombre, rasant les murs, afin de nous dissimuler l’un derrière l’autre. Tout en allongeant le pas, Pélissard nous faisait part de ses craintes.

— La police va peut-être nous donner la chasse, disait-il. Nous ne ferions pas mal, je crois, de hâter le pas… de courir même.

— Allons donc ! Ces messieurs de la police ne sont pas aussi dévoués que ce que tu crois, lui dis-je, plein d’optimisme à ce sujet. Lorsqu’ils auront constatés l’effraction ils retourneront chez eux, impatients de se recoucher. Puis demain matin, ils continueront leur enquête.

— Au fond, c’est ainsi qu’ils procèdent la plupart du temps. Et, nous n’aurions pas de chance s’ils nous poursuivaient à travers la campagne.

— N’aie pas peur, mon bon ! Ils n’oseront pas s’y aventurer… Et, à te dire vrai, à leur place j’agirais de même. Du reste ce n’est pas la première fois que pareille histoire m’arrive, mais au moins la dixième ; eh bien, je puis t’assurer qu’il ne m’est rien arrivé de fâcheux.

Accoutumé, familiarisé avec le danger, j’étais un peu trop confiant en mon étoile. Après avoir dépassé la caserne de cavalerie où nous passâmes inaperçus du factionnaire, nous allâmes nous casser le nez devant la guérite de l’octroi. J’aurais voulu l’éviter ; mais il était trop tard ; le préposé nous avait vus. Je crois pouvoir dire, sans me tromper, que ce fut ce fonctionnaire municipal qui, quelques heures après notre passage, nous signala à la police.

Arrivés au passage à niveau du chemin de fer d’intérêt local, mes camarades continuèrent d’avancer pendant que je m’arrêtais un instant afin de m’assurer si quelqu’un était à nos trousses. Je ne vis rien. La rue Saint-Gilles était des plus désertes. Rassuré par cet examen, je rejoignis mes amis et nous nous enfonçâmes, au hasard, dans l’obscurité de la route.

La pluie avait cessé de tomber, mais un brouillard des plus denses enveloppait de ténèbres la route et la campagne. Sans les arbres qui étaient échelonnés le long de la route, il nous eût été bien difficile de nous pouvoir guider. De temps en temps, Bour projetait quelques éclairs avec la lampe électrique pour tâcher de découvrir une borne kilométrique.