Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/15

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À Pont-Rémy, le silence en plus et la scène du fusil en moins, nous avions affaire avec deux de ces civilisés. Aussi n’insistâmes nous pas davantage. Bour et Pélissard allèrent explorer les alentours de la gare. Moi, plus fatigué, j’allai m’asseoir sur un banc, sous le hall de la voie ferrée.

Je commençais à peine de goûter les douceurs du repos lorsque le garde sémaphore vint vers moi d’un air peu accommodant.


— Il faut sortir de là, monsieur. La gare est fermée, me dit-il aigrement.

— À qui le dites-vous, brave homme ! Je ne le vois que trop. Aussi j’attends qu’on veuille bien l’ouvrir.

— Mais il est défendu de pénétrer sur la voie. Vous ne pouvez pas rester là.

— Cependant vous ne voudriez peut-être pas, qu’avec un pareil temps, je batte le pavé ?

— D’abord qui êtes-vous ? Demanda-t-il brusquement.

— Qui je suis ? Mais vous êtes bien curieux, ce me semble.

— Oh ! Allez ; pas besoin de le dire. Ça se voit assez, dit-il en s’en allant.

Ces dernières paroles me laissèrent perplexe. La police lui aurait-elle télégraphié d’Abbeville ? Rien de plus possible, pensai-je. Et lorsque mes camarades arrivèrent de leur excursion, je leur fis part de mes craintes.

— Si on poussait plus loin, dit Pélissard.

— Tu oublie que je n’en puis plus, lui dis-je. Le mieux est d’aller s’en assurer.

— Et comment ? Dit Bour.

— Laisse-moi faire. Tu vas voir.

Aussitôt, sans perdre un instant, j’allais relancer le bonhomme. Je le trouvai dans sa guérite, assis devant un poêle, une pipe aux dents.

— Eh bien, brave homme, êtes-vous toujours d’aussi mauvaise humeur ?…

— Oh ! Moi je ne vous en veux pas, me dit-il d’un air bonasse. Mais dans le pays on ne vous aime guère, vous savez. Et si on savait que je vous ai donné asile pour les « guetter », il m’arriverait des histoires.

— Mais nous ne sommes pas là pour guetter quelqu’un, lui dis-je avec étonnement, ne comprenant rien au sens énigmatique de ses paroles.

— Oh ! Vous avez beau dire. Allez ! Je sais qui vous êtes, me dit-il en souriant et en branlant de la tête comme pour me dire : « Me prends-tu pour une courge » ?

Bour et Pélissard qui m’avaient suivi entendirent les dernières paroles.