Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voyageurs ne doivent pas faire la queue à l’hôtel du commerce de Dreuil ! Pécaïre ! Comme elle avait l’air affairée la pauvre hôtesse de vingt-cinq printemps.

Lorsqu’elle m’eut servi, je la voyais rôder autour de moi, avec des diplomaties d’attitude, ne sachant au juste comment s’y prendre pour satisfaire sa curiosité. Rien qu’à voir les mines que faisait sa petite tête de belette (car il y avait de la belette dans sa physionomie) on sentait qu’elle mourait d’envie de me questionner.

À la fin, n’y tenant plus :

— Monsieur n’est pas du pays… Monsieur est voyageur sans doute.

Et, une fois les premiers coups de langue tirés, ce fut une salve de questions : « Et patati et patata… »

« Oh ! Tu es curieuse, ma belle ! Attends un peu, me dis-je mentalement. Je vais te servir de la fine fleur de Provence. Je vais contenter tes patati et patata, va ! Écoute ça. »

Et, laissant les rênes libres à mon imagination, je lui racontai une « histoire de pompier ». Sans souffler mot du « contrebandier père de quatre enfants », je rééditai l’accident de bicyclette, lui disant qu’ayant passé la nuit à Limeux, j’étais parti de grand matin en bicyclette, mais qu’en route ma machine s’étant avariée j’avais dû la laisser en consigne dans un moulin et continuer ma route à pied. Je couronnai le tout de la profession d’antiquaire.

— Ah ! vous êtes antiquaire ?

Elle fut interrompue soudain par les aboiements d’un dogue qui était couché et qui, vu de face, offrait une ressemblance frappante avec la tête de Casimir Perier [1] (le jeune).

— Tais-toi, Turc ! Lui cria-t-elle en le menaçant de la main.

Sans le savoir, rien qu’en l’examinant, je me doutais qu’il s’appelait Turc, puisqu’il regardait toujours du coté de « la Porte » [2].

Puis s’adressant à moi, elle reprit :

— N’ayez pas peur, il n’est pas méchant. Ce n’est pas pour vous qu’il aboie.

  1. Président de la république en 1894-95
  2. Le gouvernement ottoman était appelé « la Sublime Porte »