Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/48

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plus ; j’aurais préféré qu’il s’en servit à se friser les moustaches. Aussi, comme je ne pouvais lui faire part de mon désir sans qu’il redoublât de vigilance à mon endroit, dus-je imaginer un moyen de la lui faire enlever sans lui adresser la parole.

Je retirai la main de la poche ; mais j’en sortis mon paquet de tabac au lieu du revolver, et roulai une cigarette. Puis, à cause de la violence de l’air produite par la vitesse du teuf-teuf, je me baissai pour l’allumer. La cigarette aux lèvres, je vous prie de croire que je fis de la fumée ; dans l’espace d’une minute, j’usai le tiers du tabac qu’elle contenait, tout en ayant soin de ne pas laisser tomber la cendre. Ce résultat acquis, j’allongeai un peu la tête au vent, de façon à ce que en se détachant de la cigarette, la cendre dirigée par la rapidité de l’air, allât se coller dans les yeux de Poil de Carotte.

Allah ! Allah ! C’était écrit. Cela arriva !

— Faites donc attention, me dit-il d’un air revêche, en se frottant les yeux. Vous m’avez emborgné

Le pauvre ! Le courant d’air était si fort qu’il m’emporta jusqu’à la braise de ma cigarette. Elle était éteinte. Rapidement, sans perdre une minute, je la rallumai, puis en la requittant, je laissai ma main dans ma poche et m’armai du revolver.

Le moment était des plus propices. L’homme aux lunettes me tournait le dos. Le chauffeur était tout à sa machine. Poil de Carotte, le mouchoir à la main se frottait, s’essuyait, se refrottait et se ressuyait les yeux ; les larmes lui en ruisselaient sur les joues. Il avait de l’occupation, peuchère ! L’individu aux poils de lapin, le nez au vent, plongé dans une rêverie, le regard lointain, droit devant lui, était impatient, sans doute, d’arriver à Pont-Rémy.

Que d’idées, de passions, de sentiments contraires s’agitaient dans ces cinq cervelles !

« Le premier coup au gendarme, le second au procureur ; quant aux autres, ils me tournent le dos : je verrai ce qu’il faudra faire », me disais-je en me causant à moi-même.

Et, tout doucement, petit à petit, je sortais mon revolver de la poche, en le tenant caché dans la manche afin de le dérober à leur regard.

Enfin… le voilà sorti. Je l’avais en main, le doigt sur la détente, mirant l’oreille du brigadier comme but afin de le foudroyer d’un seul coup, lorsque soudain, un cahot