Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/53

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Puis, me ravisant aussitôt :

— Ce sont là des questions auxquelles je n’ai pas à répondre. Je me soucie fort peu de tout ce fatras de mômeries que vous appelez constatations judiciaires. Que m’importe à moi si un projectile à frappé dix centimètre plus bas ou plus haut. Que cela intéresse les magistrats, rien de plus simple, ils en mangent. Mais moi, je n’ai pas à m’en occuper. J’ai défendu ma liberté, vous dis-je, et n’ai pas autre chose à ajouter.

— Oh ! Vous savez, ce que vous nous dites ne va pas plus loin, me dit-il hypocritement.

Et, immédiatement l’un des gendarmes qui se trouvaient près de la porte, sur un clignement d’œil de son collègue, alla prévenir le juge d’instruction des paroles que je venais de prononcer.

Me Caméléon (c’est ainsi que, plus tard, la bande sinistre l’appela ; de corruption en corruption on arriva même à en faire : Léon Chameau) ne se fit pas attendre. Pour ne pas me donner à entendre qu’il venait pour me questionner, il tenait à la main le chapeau que j’avais laissé sur le théâtre de la bagarre.

Sans souffler mot il me le posa sur la tête, puis :

— C’est bien votre chapeau ?

Avant que j’eusse le temps de lui répondre, il ajouta :

— D’ailleurs, vous ne pouvez pas nier. Il s’adapte très bien à votre tête.

— Il ne nie pas, dit alors mon cuisineur en adressant un signe d’intelligence au juge d’instruction.

— Ah !… très bien, fit ce dernier.

Et il me posa différentes questions relatives à ce que j’avais dit aux gendarmes quelques minutes avant.

— Est-ce là un aveu implicite ? Me demanda-t-il.

— Je n’ai rien à avouer, rien à nier. J’ai défendu ma liberté. C’est tout ce que j’ai à vous dire.

— Mais enfin les propos que vous avez tenus aux gendarmes…

— J’ignore tout de la façon dont mes paroles vous ont été rapportées. Ce que je leur ai dit est une thèse philosophique que je me propose de soutenir lorsqu’il me siéra de le faire.