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L’ÉPÉE DE FRÉDÉRIC

Cependant Bonaparte songe ; il est inquiet. Va‑t‑il, cette fois, trouver l’Europe entière unie et coalisée contre lui ? Le mois d’avant, il a écrit avec mélancolie : « Je ne puis avoir d’alliance réelle avec aucune des grandes puissances. » Avec l’alliance prussienne, celle de la Russie lui échappe. Par quoi la remplacer ? De Würzbourg, il mande à La Rochefoucauld, son ambassadeur à Vienne, qu’il espère encore que la guerre pourra être évitée. Mais il ne croit plus à la Prusse, « si versatile et si méprisable. » (Il y reviendra.) Cependant « le besoin de tourner mes efforts du côté de la marine me rend nécessaire une alliance sur le continent ». Pourquoi ne pas la chercher à Vienne ? « La marine a fleuri autrefois en France par le bien que nous a fait l’alliance de l’Autriche. » L’ambassadeur devra essayer… Projet qui n’a pas de suite pour cette fois. Dans l’esprit de Bonaparte, de quelle incertitude n’est‑il pas le signe ? L’alliance autrichienne, il ne pense plus qu’elle n’est pas « du goût » de sa nation. Et, au moment de s’enfoncer en Allemagne, plus loin peut-être encore, de rouler cet éternel rocher de Sisyphe, quel retour sur Trafalgar, la marine, le camp de Boulogne, tout ce qui est manqué ! Mais l’action l’appelle, la nécessité le domine. Plus de regrets. Surtout plus de flottement. Les opérations de guerre sont précises et limitées, ce que les combinaisons politiques ne sont pas. Napoléon est dans la force de son âge et de son génie militaire. La campagne que la Prusse lui impose est comme une détente pour son esprit.

Pourtant, avec cet adversaire et sur ce terrain également nouveaux, c’est la même guerre qui recommence toujours, les mêmes périls à conjurer, l’éternelle coalition qui se renoue. Si la bataille d’Austerlitz avait été perdue, la Prusse intervenait. Cette fois, ce sont les Prussiens qui ont avec eux la Russie. S’ils ne sont pas battus, et battus rapidement, les Russes auront le temps d’arriver. Si c’est une