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NAPOLÉON

rait en consternant les Russes par la destruction de leur armée, ou bien en donnant un signe de son humanité et de son désir d’entente. Pourtant les combats avaient été acharnés. Une boucherie, un champ de bataille encore plus sinistre que celui d’Eylau. Plus de quarante généraux français avaient été tués ou blessés. Chez les Russes, les pertes étaient immenses. Napoléon s’appliqua, dans ses bulletins et ses dépêches, à en diminuer le chiffre comme s’il n’eût voulu ni humilier ni exaspérer l’ennemi. Koutousof, de son côté, ayant battu en retraite et sauvé ce qui lui restait de ses soldats, annonçait qu’il était prêt à livrer d’autres batailles, de sorte que Napoléon, quoique victorieux, ne l’était pas entièrement. « Eh bien ! nous n’avons pas eu de cinquième acte », disait‑il à Narbonne avec ce sang‑froid de spectateur qu’il retrouvait aux moments les plus critiques. Il n’avait pas produit l’effet qu’il attendait soit d’une défaite des Russes, soit d’une clémence dans la victoire pour rendre possible ce retour à l’alliance qu’il espérait toujours. Il avait eu la « bonne bataille » qu’il calculait avant de quitter Paris. Il ne l’avait pas assez gagnée et elle demeurait stérile.

Elle devenait même funeste comme toutes les circonstances qui l’avaient peu à peu rapproché de Moscou, parce qu’elle l’y faisait entrer et que Moscou devait être son tombeau.

Si Napoléon en avait pris la route, au lieu de marcher vers Pétersbourg, c’était parce que l’ennemi lui‑même l’indiquait. La Russie avait deux capitales. Quelle que fût celle dont on s’emparerait, du moment que c’était de haute lutte, on devait y signer la paix. Napoléon s’était persuadé qu’à Moscou la guerre serait finie. Cela aussi il le croyait parce qu’il avait besoin de le croire, et il avait besoin de le croire parce qu’au-delà de Moscou il n’y avait plus rien. Il avait espéré d’abord que le seul fait de paraître sur la Vistule avec 600.000 hommes effraye-