Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
547
MORNE PLAINE

croyables, d’ordres mal transmis, insuffisants ou obscurs. La cause générale, c’était, chez le chef, le flottement de la pensée, un secret désespoir.

Et ce désespoir devient le mauvais conseiller de Napoléon. La veille et l’avant-veille du 18 juin, il laisse passer des moments précieux. Il a, le matin même, reculé l’heure de l’attaque pour attendre que le sol, détrempé par une pluie violente, fût séché. Puis une hâte le saisit. Soudain le voilà pressé. Il veut le résultat tout de suite, la bataille décisive, de tout ou rien, avec l’envie d’en finir. À de trop longues incertitudes succède une assurance téméraire. Soult, qui connaît le terrain, qui, en 1794, s’est déjà battu au plateau du Mont‑Saint‑jean, fait observer que Grouchy a bien du monde, qu’il serait bon de lui redemander une partie de ses troupes, qu’on n’en aura pas trop. L’empereur répond qu’il ne faut pas faire tant de cas des Anglais, qu’il a quatre-vingt-dix chances sur cent de les battre, que ce sera « l’affaire d’un déjeuner ». Reille insiste dans le même sens que Soult. Il a été en Espagne ; il connaît l’infanterie britannique, tandis que Napoléon ne s’est jamais mesuré avec Wellington. Même réponse : « Si mes ordres sont bien exécutés, nous coucherons ce soir à Bruxelles. » On avertit l’empereur que les Prussiens doivent faire leur jonction avec les Anglais à l’entrée de la forêt de Soignes. Il a lui-même fort négligé le service de ses renseignements. Ceux qu’on lui apporte, il les traite de fables. Il affirme que Blucher ne peut arriver avant deux jours, et d’ailleurs, il y a Grouchy qui est chargé de le poursuivre. Lorsque le corps de Zieten paraît sur le champ de bataille, Napoléon refuse encore de croire que ce soient les Prussiens. Après seulement, il accusera Grouchy qui restera pour toujours le général qui ne marche pas au canon, qu’on attend et qui n’arrive point et dont Houssaye dit avec justice qu’il agit en aveugle, mais que Napoléon ne fit rien pour l’éclairer.