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faire donner de l’argent, puis une poule noire, puis un cœur de bœuf, puis des clous. Il fallait que la poule, le cœur et les clous fussent volés ; pour l’argent, il pouvait être légitimement acquis, le sorcier se chargeait du reste. Mais il arriva que, n’ayant pu rendre à la plaignante le cœur de son amant, celle-ci voulut au moins que son argent lui fût restitué ; de là le procès, dont le dénoûment a été ce qu’il devait être : le sorcier a été condamné à l’amende et à deux mois de prison comme escroc.

Voici encore ce qu’on écrivait de Valognes en On jugera des sorciers passés par les sorciers présents, sous le rapport de l’intérêt qu’ils sont dignes d’inspirer : « Notre tribunal correctionnel vient d’avoir à juger des sorciers de Brix. Les prévenus, au nombre de sept, se trouvent rangés dans l’ordre suivant : Anne-Marie, femme de Leblond, dit le Marquis, âgée de soixante-quinze ans (figure d’Atropos ou d’une sorcière de Macbeth); Leblond, son mari, âgé de soixante-onze ans ; Charles Lemonnier, maçon, âgé de vingt-six ans ; Drouet, maçon, âgé de quarante-quatre ans ; Thérèse Leblond, dite la Marquise, âgée de quarante-huit ans (teint fiévreux ou animé par la colère) ; Jeanne Leblond, sa sœur, également surnommé la Marquise, âgée de trente-quatre ans, femme de Lemonnier, et Lemonnier, mari de la précédente, équarrisseur, âgé de trente-trois ans, né à Amfreville, tous demeurant à Brix. Divers délits d’escroquerie à l’aide de manœuvres frauduleuses leur sont imputés ; les témoins, dont bon nombre figurent parmi les dupes qu’ils ont faites, comparaissent successivement et reçoivent une ovation particulière à chaque aveu de leur crédulité. Les époux Halley, dit Morbois, et leur frère et beau-frère Jacques Legouche, des Moitiers-en-Bauptois, se croyaient ensorcelés. Or il n’était bruit à dix lieues à la ronde que des Marquis de Brix. On alla donc les supplier d’user de leur pouvoir en faveur de braves gens dont la maison, remplie de myriades de sorciers, n’était plus habitable. Le vieux Marquis se met aussitôt en route avec sa fille Thérèse et commande des tisanes. Mais il en faut bientôt de plus actives, et la société, composée de ses deux filles et des frères Lemonnier, qui se sont entremis dans la guérison, apporte des bouteilles tellement puissantes que toute la famille les a vues danser dans le panier qui les contenait. Il faut en effet de bien grands remèdes pour lever le sort que le curé, le vicaire et le bedeau de la paroisse ont jeté sur eux, au dire des Marquises. Il faut en outre du temps et de l’argent. Deux ans se passent en opérations, et avec le temps s’écoule l’argent. Mais enfin une si longue attente, de si nombreux sacrifices auront un terme, et ce terme, c’est la nuit de Pâques fleuries, dans laquelle le grand maître sorcier viendra débarrasser les époux Halley des maléfices qu’ils endurent. Ce qui avait été promis a lieu ; non pas précisément la guérison, mais l’arrivée de plusieurs membres de la compagnie de Brix. Que s’est-il passé dans la maison ? c’est ce que des voisins assignés ne peuvent nous dire, parce qu’ils n’ont osé ni regarder ni entendre. Un seul rapporte avoir ouï, lorsque les sorciers sont repartis, une voix s’écrier : — Il faut qu’ils soient plus bêtes que le cheval qui nous traîne ! D’autres racontent la ruine de cette maison, qui date des fréquents voyages de la compagnie. Les Halley et les Legouche étaient dans une parfaite aisance avant qu’il fût question de les désensorceler. Leurs meubles, leurs bestiaux, leur jardin, leur peu de terre, ils ont tout vendu ; leurs bardes, parce qu’elles étaient ensorcelées comme-leurs personnes, ils les ont données ; ils ont arraché jusqu’à leur plant de pommiers pour en faire un peu d’argent et rassasier l’hydre insatiable qui les dévorait ; 2,000 fr., tel est peut-être le chiffre des sommes que l’accusation reproche aux prévenus d’avoir escroquées à ces pauvres gens. Cependant ceux-ci avouent à peine 250 fr. qu’ils auraient pu remettre pour prix de médicaments qui les ont, disent-ils, radicalement guéris. Ils ne confessent aucuns détails, n’accusent personne. Ils rendent grâces au contraire du bien qu’on leur a fait. Les malheureux tremblent encore en présence de ceux qu’ils ont appelés auprès d’eux, et dont le regard semble toujours les fasciner ! Un nommé Henri Lejuez, de Flottemanville-Hague (arrondissement de Cherbourg), vient ensuite raconter avec la même bonne foi et le même air de simplicité les tours subtils de magie dont il a été victime. Chevaux et porcs, chez lui tout mourait ; ce n’était point naturel ; mais aux grands maux les grands remèdes. Il se mit donc en quête pour les trouver. Un jour, dit-il, que j’étais à l’assemblée de Vasteville, je trouvai un homme qui me dit que je ferais bien d’aller à Brix, chez un nommé le Marquis. J’y allai ; or, quand je lui eus dit mon affaire, et qu’il eut lu deux pages dans un livre que sa femme alla lui chercher dans l’armoire, il me répondit : — Ce sont des jaloux ; mais je vais vous butter ça ; baillez-moi 5 fr. 50 c. pour deux bouteilles de drogues, et je ferai mourir le malfaiteur. — Nenni, que je lui dis, je n’en demande pas tant ; domptez-le seulement de façon qu’il ne me fasse plus de mal, c’en est assez. Quinze jours après, j’y retournai, et j’apportai vingt-cinq kilogrammes de farine, deux pièces de 5 fr., et environ deux kilogrammes de filasse que sa bonne femme m’avait demandés. Il n’y avait point d’amendement chez mes avers, et je lui dis en le priant de travailler comme il faut l’homme qui m’en voulait. Enfin, après un autre voyage que je fis encore, il fut convenu que sa fille Thérèse viendrait à la maison. Elle y vint donc et fit sa magie avec une poule qu’on happa sans lui ôter une plume du corps. Sur le coup