Aller au contenu

Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce sera un scandale affreux, je serai l’épouse d’un chenapan, et vous-même, vous serez compromis, mon oncle, on saura que le directeur de l’école Saint-Louis-de-Gonzague a un voleur pour neveu.

Elle parlait avec fièvre, avec hâte, comme si elle était pressée de vider l’abcès de son cœur, d’en faire jaillir tout le pus qu’il contenait. Elle éprouvait une sorte de soulagement à se confesser ainsi, et elle ressentait aussi de la fierté, comme si elle entrevoyait une vanité dans cet étalage de honte, qu’elle jetait comme un défi à la figure de son oncle, comme la revanche méprisante de la vie passionnée, désordonnée et amoureuse sur la vie humble, grave et austère que l’abbé Barbaroux avait choisie.

Mais ces paroles, dont elle soulageait ses obscurs remords, étouffaient l’abbé Théodore. Quelque chose d’impitoyable comme un cataclysme, de prompt comme la foudre, de terrible comme la fin du monde, s’était abattu sur lui. Il suivait avec peine la pensée de Cécile à travers la fougue de ses phrases heurtées, et sa désillusion avait toute l’horreur d’une mort. Était-il possible que ce fût là sa Cécile ? Non, il rêvait, il avait perdu la tête, c’était une hallucination. Et à chaque mot trop dur de sa nièce, son visage s’empourprait, il agitait une main, il ouvrait la bouche comme pour parler, puis il retombait dans son immobilité douloureuse et son abattement.

Quand Cécile se tut, il y eut un long silence.

— C’est effroyable, effroyable, dit-il enfin, avec un dégoût infini. J’aurais donné ma vie pour que cela n’arrivât pas. Ah ! que ne suis-je mort avant de savoir ce que tu es ! Je ne trouve pas de mot pour te qualifier ! Je n’aurais pas assisté au spectacle de cette monstrueuse déchéance ! Je n’aurais pas entendu ce que je viens d’entendre… Et c’est toi, Cécile, toi, ma nièce, toi, que j’ai tant aimée, qui oses me parler ainsi ! — Ton cynisme me révolte ! cria-t-il avec fureur, on dirait que tu trouves cela tout naturel. Mon sang bout en t’écoutant, il me semble que ma tête va éclater ! Et toi, tu dis cela d’un air calme, paisiblement… Tu n’as donc plus ni honneur, ni dignité, ni rien ! Quel sang as-tu dans les veines ? Tiens, tu me répugnes, va-t’en !