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Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/64

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tait le cœur ulcéré de Cécile. Et Mme Pioutte savait aussi que jamais Cécile ne reviendrait sur sa résolution, qu’elle serait morte plutôt que de se désavouer.

Tout cela tranquillisait Mme Pioutte. Engagée dans une voie de mensonges, elle s’y trouvait à l’aise. Elle ne craignait aucunement que Théodore démêlât la vérité. Elle avait prévu les plus minutieux détails ; son plan formait un ensemble presque inattaquable. Une telle conduite aurait été impossible avec un autre homme. Mais il était facile de tromper l’abbé Barbaroux, si profondément honnête qu’il ne soupçonnait le mal chez personne, toujours distrait, et qui, n’ayant aucun sens de la vie pratique, s’en remettait entièrement de tous ses soucis d’argent à Augulanty et sa sœur, afin de s’occuper uniquement de son salut et des intérêts moraux de son pensionnat.

D’ailleurs, l’abbé, qui ne quittait jamais ses élèves, le jour, ni la nuit, avait peu de temps pour converser avec ses nièces. Il ne leur accordait qu’une demi-heure d’entretien chaque soir, après le dîner, et quelques moments plus longs dans l’après-midi du dimanche, où il ne les voyait qu’en compagnie de leur mère.

Après avoir laissé Cécile, Mme Pioutte se dirigea vers la chambre de Charles, qui devait repartir pour Paris, depuis plus d’un mois, et qui, toujours retenu par la patronne, comme il appelait irrévérencieusement sa mère, ne se pressait point de retrouver sa maîtresse et ses vagues travaux.

Charles était fort occupé à poursuivre la femme de chambre autour du lit. Il s’arrêta tout penaud quand sa mère parut. Rosita s’esquiva.

— Tu sais ce que je t’ai recommandé, Charles, fit Mme Pioutte. Ne souffle mot à personne de tes besoins d’argent, ni de tes projets de mariage. Je pourrai peut-être t’avoir, non pas vingt mille francs, mais une quinzaine de mille. Tu en auras bien assez.

Mme Pioutte et Charles causèrent assez longuement. Le peintre, ivre de joie, formait dans sa cervelle les plus beaux rêves de luxe et de plaisirs. Il n’y avait qu’au mariage qu’il ne songeait pas. Et il n’écoutait plus les