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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

LA MARSEILLAISE.

Ce sont-là les excès des mauvais jours. On maudit publiquement ce qu’il faudrait adorer ; on adore les puissances détestables ! Chose étrange et vraie, il arrive presque toujours que l’imprudent qui s’amuse à ces fictions mauvaises exècre, autant que vous les haïssez peut-être, le crime et les bourreaux qu’il met en œuvre ; autant que vous, il a honte de la lâcheté des victimes. Comment se fait-il cependant que cet homme, en dépit de ses plus chères convictions, et ce théâtre qui compte en son sein tant d’honnêtes artistes, en deuil, pour la plupart, de ce roi qui était leur bienfaiteur, s’amusent, là, tout de suite, à ranimer ces passions éteintes, à remonter ces tragédies oubliées, à chanter ces Marseillaises ? Ô profanation ! la Marseillaise hideuse chantée au Théâtre-Français et l’aimable écho de M. Scribe et de Marivaux, répétant d’un ton plaintif que le jour de gloire est arrivé pour les enfants de la patrie ! Eh ! c’est justement la Marseillaise qu’on chante dans la rue, et ce sont les hommes que l’on tue aux pieds des barricades, ce sont les proclamations affichées sur les murailles, complices innocentes de ces désordres, c’est la pluie en février, c’est le soleil en juillet, c’est le nuage en tout temps qui poussent ces hommes sans prévoyance et sans respect :

Le vent qui passe à travers la montagne
M’a rendu fou !

La Marseillaise ! Elle a été la haine de ma vie et le plus profond sujet de mon désespoir. Non-seulement elle troublait la rue, elle la remplissait d’épouvante et de bruit, et l’Apollon insulté s’en allait à tire-d’aile, chercher un endroit silencieux

Où d’être homme d’honneur il ait la liberté !


Un jour même, en pleine monarchie, et tout à coup (quelque assassin venait de tirer sur le roi !), l’abominable chanson avait reparu ; pareille à la foudre qui se fait entendre au milieu d’un ciel limpide, il me sembla que ce cri de guerre était un présage, et, dans la fièvre où me jeta cette Marseillaise d’un instant, j’écri-