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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

remportées au bruit de ce refrain célèbre, mais encore tous les meurtres dont il a été l’accompagnement obligé. Ceci est une arme à deux tranchants ; l’un de ces tranchants est empoisonné, si l’autre est salutaire. Salut donc à la Marseillaise sur les champs de bataille. Oui, je la comprends et l’accepte quand elle s’en va ; un mauvais fusil à la main et des sabots à ses pieds, soulevant et domptant l’Allemagne, traversant le Rhin éperdu et soumis, abaissant les montagnes d’Italie, réjouissant les échos rajeunis de Marengo et d’Austerlitz. Mais la Marseillaise dans nos villes, dans nos campagnes, dans les clubs qu’elle enivre comme ferait la poudre à canon coupée d’eau-de-vie, dans les tribunaux révolutionnaires où elle étouffe la voix tremblante des innocents, autour de l’échafaud où elle égorge sans pitié le roi de France et la reine de France, et jusqu’à Mme Elisabeth obligée de crier au bourreau : — Monsieur le bourreau, couvrez-moi la gorge ! mais votre Marseillaise de carrefours, de places publiques, de théâtres, de comédiennes, de soldatesque avinée, de bonnets rouges égorgeurs, je n’en veux pas, je la hais, elle me fait peur, et fasse Dieu qu’elle soit effacée de la mémoire de nos villes ; des villes entières, des villes françaises, se sont écroulées de fond en comble, rien qu’à l’entendre, cette chanson des meurtres, plus puissante et plus terrible mille fois que la trompette de Jéricho !

Faut-il donc tout vous dire ? Et pourquoi ne le dirions-nous pas ? Pourquoi ne soumettrions-nous pas à la critique littéraire cette trop fameuse chanson, comme on y soumet toutes choses ? Eh bien ! vous serez forcés, si vous voulez un chant national des batailles prochaines, un ralliement pour les guerres, c’est-à-dire, pour les victoires à venir, vous serez forcés d’improviser un autre hymne que la Marseillaise, un hymne tout nouveau pour des guerres nouvelles, pour des passions nouvelles, pour la jeune France plébéienne, mais plébéienne cette fois par droit de conquête et par droit de naissance. Certes avec la meilleure volonté du monde, la révolution de 1830, spontanée, éclatante, pure de tout excès, innocente de tout brigandage, qui s’est faite toute seule et par elle-même, ne peut pas chanter à l’intérieur ou porter sur les champs de bataille les inspirations de 1793, la poésie sanglante de ces terribles époques, la verve furibonde des mauvais jours. Elle ne voudra pas adopter pour son champ de