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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

CAMILLE DESMOULINS. — LE MARQUIS DE FAVRAS.

Parmi les pièces nouvelles et les pièces du bon temps que le théâtre aux abois avait la faiblesse, en ce temps-là, de remettre en honneur, j’en retrouve plusieurs qui seraient retombées dans l’oubli définitif avec tant d’autres de la même famille des pièces tombées, s’il n’était pas nécessaire de les laisser ici comme un exemple. Hélas ! l’exemple, à quoi bon, à quoi bon surtout l’exemple au Théâtre-Français, et ferez-vous qu’il devienne, une fois pour toutes, le modèle et l’exemple de la constance politique ? Il dit volontiers, selon le temps : Vive le roi ! et Vive la Ligue ! Théâtre royal aujourd’hui, il sera le lendemain Théâtre de la République, et si le mot république vient à mal sonner, aussitôt voilà mon théâtre déconfit qui se retranche dans un moyen terme, et il s’appelle Comédie-Française. De république, pas un mot, et si on lui disait qu’il a chanté naguère la Marseillaise par la voix stridente de sa comédienne, il vous répondrait qu’il exècre la politique, et qu’il n’en fait pas. Pourtant, cette même Comédie-Française avait payé, elle aussi, son tribut aux gens de la Terreur ; elle avait vu ses meilleurs comédiens remplir les prisons de la Convention nationale, elle s’honorait, entre autres souvenirs, de l’aumône d’un casaquin blanc que sa plus illustre comédienne avait faite à Sa Majesté la reine de France, lorsque Sa Majesté, les mains liées par une corde, montait sur le tombereau fatal qui la traînait à l’échafaud !

De ce Camille Desmoulins, au Théâtre-Français, je n’ai rien à dire, sinon qu’il fit sur moi une profonde impression de terreur. C’était si nouveau, en effet, pour un jeune homme de mon âge, cet appareil de tribunal révolutionnaire, et si nouvelle était cette ardeur de sang humain sur cette scène vaillante et rieuse, où Corneille et Molière avaient semé, celui-ci ses grands diseurs, celui-là ses grands hâbleurs. Même en relisant ce feuilleton inachevé, je ne retrouve pas, tant s’en faut, l’effroi et le malaise que me firent éprouver ces sans-culottes, ces bonnets rouges, ces clefs, ces geôliers en costumes mortuaires, ces coquins s’appelant tout haut : Voleurs, gredins, brigands, assassins, bourreaux ! et sur le théâtre des Femmes savantes et sur le théâtre de Bri-