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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

trahison, les sciences et le despotisme, l’art militaire et la toilette, le vice et la majesté : car en fait de vices sans élégance et sans grâce, la gracieuse Catherine donnerait des leçons, même à madame Dubarry.

Cependant cette femme est flattée à outrance ; elle s’abrite sous le manteau des philosophes ; voilà qui va bien ; ce n’est pas cela qui me chagrine. Ce qui me chagrine, c’est que, dans un temps de révision pour l’histoire, comme celui où nous sommes, à une époque où toutes les flatteries sont réduites à leur juste valeur, quand nous savons à présent tout ce que vaut en effet l’impératrice de Russie, ce soit justement les poètes de notre époque qui choisissent Catherine pour l’héroïne de leur drame. Notez bien que ce n’est pas la Catherine sous le manteau du philosophe qu’ils choisissent, ces poètes ; c’est la Catherine toute nue, la vieille Catherine, qui court après des hommes, à qui on jette des hommes, qui n’a pas assez d’hommes. Voyez à l’Odéon, un jeune officier s’étend sur un canapé dans l’attitude d’un caniche favori ; voyez, ce favori est près d’être dévoré quand la royale maîtresse vient à savoir qu’il est amoureux d’une autre femme. Voyez, au dernier acte, lorsque Catherine est au désespoir de se retirer seule dans son appartement, un autre favori se précipite dans l’alcôve impériale, en présence de tous les spectateurs qui ne s’étonnent de rien ; à l’Odéon cela s’appelle du drame et s’applaudit.

Voyez au vaudeville Catherine II, c’est toujours Catherine avec un autre caniche. Ici c’est Catherine soumise à Potemkin, et Potemkin qui lui cherche des distractions, Potemkin lui-même. Or, la fantaisie impériale tombe ce jour-là sur un comte polonais ; Potemkin trouve le Polonais trop brillant, et il fait que la fantaisie impériale tombe sur un soldat aux gardes. Vous voyez qu’il ne s’agit que du choix de l’amant nouveau ; car pour l’amant, Potemkin veut bien le passer à l’impératrice. Le débat dure trois actes. Qui entrera dans le lit de Catherine cette nuit, voilà tout le drame ? Sera-ce Potemkin, sera-ce le comte polonais, sera-ce le soldat aux gardes ? Et avec cette donnée on fait un drame pour nous, pour vos femmes, pour vos jeunes sœurs, pour vos enfants, Chérubins de quinze ans, qui doivent revenir le soir à leur collège ! Appelez-vous cela un drame ? Appelez-vous ce sang-froid