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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

tés. Il y a des fauteuils, il y a des bancs, il y a une table, tout est prêt avant la séance. Et quand la réunion de ce peuple, expulsé du palais de Versailles, vient en ce lieu se constituer maîtresse absolue et indépendante de la royauté même, elle n’a plus qu’à s’asseoir et à parler !

Au contraire ! figurez-vous le désordre de l’histoire. Il y a des joueurs dans le Jeu de Paume, il y a des balles et des raquettes, les joueurs ont la sandale et la casaque de toile ; tout à coup le ciel éclate, le tonnerre gronde, il pleut à verse, la porte s’ouvre, et voilà toute l’Assemblée nationale qui entre à la lueur des éclairs, au bruit de la tempête, et voilà tous ces terribles pouvoirs de la révolution française qui éclatent, eux aussi, comme la foudre ! Or, dans cette vaste enceinte du jeu de paume, telle que nous le montre l’histoire, rien n’est prêt, il n’y a pas un banc où s’asseoir, il n’y a pas une table où parler, pas un siège ; on s’agite, on se cherche, on s’appelle ; le peuple se place en tumulte, on parle, on ne parle pas, on se tait, le silence est terrible ; vous avez un drame tout entier dans ce beau désordre, et ce désordre n’est pas un effet de l’art !

À la Porte Saint-Martin, on a fait autrement ; on a distribué des sièges par précaution, on a préparé une tribune à l’avance ; il y a une droite et une gauche ; on a confondu le Jeu de Paume avec la Séance royale ; on a mis dans la bouche de Mirabeau, et pêle-mêle, tous les mots sonores qu’il a prononcés dans sa vie, le mot à M. de Dreux Brézé : Allez dire à votre maître, et le mot Silence aux Trente !, prononcés à la même minute et dans le Jeu de Paume ; comprenez-vous cela ? Or, entre ces deux mots, il y a un abîme. Le premier est le mot d’un tribun qui bouleverse de fond en comble une monarchie de dix-huit siècles ; la seconde de ces paroles est le mot d’un gentilhomme et d’un citoyen qui se repent, le mot d’un révolutionnaire vaincu par la révolution qu’il a faite, et qui voudrait, mais en vain, revenir sur cette révolution.

Respect, de grâce, respect à des biographies ainsi pleines ! Respect à ces hommes formidables ! Respect aux cendres de Napoléon et de Mirabeau, à ces deux gloires de la France moderne ! Dans vos plus grands écarts, qu’ils ne soient pas ridicules ; car le ridicule est le plus grave des mensonges dont on puisse affubler de tels héros !