Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/110

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Ma vie était flétrie ; mon univers, à moi, était changé ; je m’étais engagé, sans le savoir, dans un drame inextricable ; il fallait en sortir à tout prix, et je ne savais plus où trouver mon dénouement. Alors une vague idée de suicide passa jusqu’à mon cœur. Cette triste poétique de tombeaux et de cadavres a cela d’affreux, qu’elle vous habitue bien vite, même à votre propre cadavre. À force de jouer avec toutes les idées sérieuses, il n’y a plus d’extravagances impossibles. Me tuer, moi si heureux, si libre, si aimé, la tête si remplie, le cœur si plein, du vivant de mon noble père, ma tante si vieille, ma mère si jeune encore ! Me tuer sans raison, sans motifs, parce qu’il a plu à quelques fous de changer la langue, les mœurs et les chefs-d’œuvre de mon pays ! Eh ! voilà justement pourquoi une pareille mort me paraissait belle et poétique ! Je pensai donc avant tout à mettre en ordre, non pas mes affaires, je n’avais pas d’affaires, mais mes papiers, et j’en avais un grand nombre. Déjà j’avais ouvert machinalement le lourd secrétaire d’ébène incrusté d’une nacre jaunissante, meuble précieux de ma vie domestique. Tout un poëme est répandu dans ces divers tiroirs ! J’en fis la mélancolique revue : cette revue était amusante comme un souvenir qui est encore un souvenir d’hier,