Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/12

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j’avais voulu m’en rassasier une fois pour toutes, et démontrer invinciblement aux âmes compatissantes, que rien n’est d’une fabrication facile comme la grosse terreur. Dans ce genre, Anne Radcliffe, si méprisée aujourd’hui, est un véritable chef de secte. Bien longtemps avant le cabinet d’anatomie de Dupont, elle avait deviné les pustules sanguinolentes et les écorchés en cire ; nous n’avons fait que creuser plus avant à mesure que nous avons mieux appris l’anatomie. J’ai voulu profiter comme les autres des progrès de la science ; au lieu de tailler ma plume avec un canif, je l’ai taillée avec un scalpel, voilà tout.

Puis la Critique me prit en grande pitié quand je lui expliquai par quels efforts incroyables j’étais arrivé à l’horrible, quelle peine je m’étais donnée pour mêler quelque chose de moi à mon atroce fable. Sa pitié alla jusqu’aux larmes quand elle sut que le cœur et l’âme de mon héroïne n’étaient peut-être qu’une triste réalité, et que mon livre était non-seulement une étude poétique que j’avais voulu faire, mais encore les mémoires exacts de ma jeunesse : elle n’eut presque plus la force de me gronder.

Toutefois elle s’emporta violemment lorsqu’au milieu de tous ces récits et au plus fort de tout ce fracas de style qui lui plut d’abord et qui finit par la fatiguer, la Critique ne trouva pas une idée morale, pas un mot qui allât au-delà du fait matériel ; rien, au milieu de tant de descriptions complètes, que des formes et des couleurs ; tout ce qui fait le monde physique, rien de l’autre monde, rien de l’âme ; elle fut prête un instant à s’éloigner de mon livre avec dédain.