Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/74

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et elle reprit sa course ; je la suivis, elle s’arrêta à la Morgue.

La Morgue est un petit bâtiment carré, placé comme en vedette vis-à-vis un hôpital ; le toit forme un dôme revêtu d’herbes marines et d’une plante toujours verte qui est d’un charmant effet. On aperçoit la Morgue de très-loin ; les flots qui roulent à ses pieds sont noirs et chargés d’immondices. On entre dans ce lieu librement, mort ou vif, à toute heure de la nuit et du jour ; la porte basse en est toujours ouverte ; les murs suintent ; sur quatre ou cinq larges dalles noires, les seuls meubles de cette caverne, sont étendus autant de cadavres ; quelquefois, dans les grandes chaleurs et à tous les mélodrames nouveaux, il y a deux cadavres par chaque dalle. On n’en comptait que trois ce jour-là : le premier était un vieux manœuvre, qui s’était écrasé la tête en tombant d’un troisième étage, au moment de finir sa journée et d’aller en recevoir le faible salaire. Il était évident que ce malheureux, après de longues années de travail, était devenu trop faible pour son rude métier ; les commères de l’endroit, et cet endroit était pour elles un délicieux rendez-vous de divertissement et de bavardage, racontaient entre elles que de trois enfants qu’avait laissés et élevés le vieillard, aucun d’eux n’avait voulu