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AU CLAIR DE LUNE

« La Dépêche » du mercredi 15 octobre 1890

L’autre soir, à la campagne, je me promenais, tout en causant avec un jeune ami qui est sorti un des premiers de l’École polytechnique après avoir fait d’excellentes études littéraires et qui a l’esprit aussi précis qu’étendu.

Nous cheminions sur un plateau découvert, bordé à notre gauche par de petits coteaux arrondis qui s’enchaînent les uns aux autres par des prairies en forme de ravins. La pleine lune éclairait l’espace transparent et frais, et les étoiles, pâlies et lointaines, avaient une attendrissante douceur. La route, blanche sous la clarté, allait droit devant nous, et se perdait au loin dans le mystère de l’horizon, baigné de lueur et d’ombre ; elle semblait mener de la réalité au rêve :

« Oui, disais-je, ce qui me fâche dans la société présente, ce ne sont pas seulement les souffrances matérielles qu’un régime meilleur pourrait adoucir ; ce sont les misères morales que développent l’état de lutte et une monstrueuse inégalité.