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HISTOIRE SOCIALISTE

organisant la terreur et en prenant, selon l’expression de Merlin, « le masque d’un faux zèle pour le progrès agricole ».

C’est ainsi qu’à Lille, les baillis des quatre principaux seigneurs essayent de démembrer, à leur profit, le domaine commun, anciennement acheté par les habitants, et Merlin note comme un trait de courage tout à fait remarquable la résistance de quelques communautés qui firent appel au Parlement. En somme, un vaste système de spoliation, de confiscation et de volerie fonctionna dans le dernier tiers du xviiie siècle au profit des seigneurs, au détriment des paysans. Les cahiers nous offrent des traces multiples de ces luttes où le paysan fut si souvent vaincu.

Le Tiers État de Gray, au chapitre III de son cahier, signifie que ses élus « insisteront à ce que les communaux, dans les villes et dans les campagnes, soient déclarés inaliénables en conformité d’une déclaration de 1607, en conséquence, à ce que les communautés soient autorisées à revendiquer tous leurs communaux et leurs autres droits usurpés, aliénés ou engagés depuis la conquête de la province, à vue de leurs titres, nonobstant toutes possessions contraires ». Au contraire la noblesse du Bugey déclare en son article 54 :

« À prendre en considération l’état et l’administration des communaux de la France et particulièrement de ceux de cette province que, pour parvenir à ce but si désirable (l’acquittement des charges publiques) un des meilleurs moyens serait la division des communaux qui sont considérables dans la province, presque partout absolument dégradés, et dont le rétablissement paraît impossible, tant que cette propriété sera commune ; en conséquence, ordonne que les communaux en bois seront divisés et répartis d’après la base qui paraîtra la plus juste et la plus convenable au lieu publié, sans préjudice des droits du seigneur. » Comme ces prétextes sont vains ! L’expérience a démontré, au contraire, que les bois pouvaient très bien demeurer propriété commune sans aucun dommage pour la richesse publique.

Mais voici le Tiers État des villes qui abonde dans le sens des seigneurs : à Caen, le Tiers État de la ville demande « que les biens communaux soient défrichés et partagés ; que, pour ceux qui seraient à dessécher, on en prélève une part pour les personnes qui en feraient les frais, dans le cas où la communauté n’aurait pas, dans le temps déterminé, fait le dessèchement ». Il est vrai que le Tiers État de Caen veut prendre quelques précautions en faveur des pauvres : il demande « qu’il soit toujours fait, dans chaque communauté, une distraction des biens communaux qui seront affermés au profit des pauvres, pour subvenir à leurs besoins dans les temps de calamité, leur acheter des bestiaux, leurs procurer des linges et vêtements et leur fournir ce qui leur sera nécessaire en nature, sans jamais leur rien donner en argent. »