Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/326

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
HISTOIRE SOCIALISTE

mense et toujours agité. Avec ses bosquets, ses galeries, la complication de ses passages et de ses boutiques, c’était un rendez-vous de plaisir où abondaient depuis bien des années, intrigants, financiers, chevaliers d’industries, filles de joie.

Et dès les premiers jours de la Révolution, ce fut un rendez-vous révolutionnaire.

C’est là que le 12 juillet Camille Desmoulins, montant sur une table et arborant à son chapeau une feuille d’arbre en guise de cocarde, annonça l’imminence du Coup d’État militaire, la prochaine « Saint Barthélémy des patriotes ».

Et, depuis, le Palais Royal était resté le foyer des nouvelles, des motions, des agitations. Il est difficile de fixer et même de saisir la physionomie sociale de cette cohue toujours mouvante, renouvelée sans cesse et mêlée d’éléments très variés. Évidemment, l’absence même d’organisation favorisait le jeu de l’intrigue : il était facile à une faction de glisser-là ses mots d’ordres, ses nouvelles tendancieuses, et d’agir ainsi, de proche en proche, sur tout Paris.

Il est certain que le duc d’Orléans, ennemi passionné de la Cour, avait, au Palais-Royal, des nouvellistes à gages, des courtisans empressés qui travaillaient l’opinion à son profit : ce n’est pas spontanément que la foule décida, le 12 juillet, de porter dans les rues le buste du duc d’Orléans en même temps que celui de Necker.

Jusqu’où voulait aller le duc ? Espérait-il qu’un mouvement révolutionnaire le porterait au trône ? Peut-être ce personnage équivoque, vicieux et faible, usé par la basse débauche et la basse magie, n’avait-il aucun ferme dessein : mais tous les intrigants et tous les parasites, qui connaissaient le chemin de sa fortune et de ses vices, se flattaient de l’espérance d’un immense pouvoir et d’une magnifique orgie s’ils installaient, dans le palais du Roi, leur maître taré. Et il semble bien qu’un moment ils comptèrent sur le concours de Mirabeau.

Celui-ci, dès les premiers jours de la Révolution, tâtait, pour ainsi dire, de sa main puissante, tous les instruments d’action épars autour de lui : et il se peut qu’il ait vu, dans le duc d’Orléans, si l’aveuglement de la Cour et la sottise de Louis XVI mettaient à bas la dynastie, une sorte d’en cas princier, dont la Révolution ferait son roi.

Les amis du duc, à Paris, poussaient certainement la popularité de Mirabeau pour s’en servir. Sans cette sorte d’entreprise obscure, on s’expliquerait mal qu’à la fin d’août et au commencement de septembre, au moment même où Mirabeau soutenait, au fond, le veto absolu du Roi, le bruit ait été répandu au Palais-Royal que les contre-révolutionnaires, partisans du veto, voulaient se débarrasser de Mirabeau, même par le meurtre. Il y a là, évidemment, une falsification systématique et calculée des faits. Le