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HISTOIRE SOCIALISTE

Pendant ce temps, malgré les bataillons de grenadiers, le peuple avait grossi sur la place de l’Hôtel-de-Ville : et il demandait avec impatience que la garde nationale tout entière suivit l’exemple des femmes et allât comme elles à Versailles écraser la conspiration, sauver les députés amis de la liberté, arracher le Roi aux factieux. Le peuple adjurait les gardes nationaux de rester fidèles à la Révolution et de se méfier de leurs officiers parmi lesquels il y avait beaucoup d’aristocrates et d’ennemis de la patrie. Plusieurs gardes nationaux suppliaient ou même sommaient Lafayette de les conduire à Versailles. Lafayette, épouvanté sans doute des suites que pouvait avoir ce mouvement, refusait : « Il est bien étonnant, s’écriait un soldat, que M. de Lafayette veuille commander la commune, tandis que c’est à la commune à le commander : il faut qu’il parte, nous le voulons tous. » Le général leur répondait qu’il ne pouvait obéir qu’à un ordre légal, et que seuls les représentants de la commune pouvaient le donner.

A quatre heures et demie du soir ceux-ci délibéraient encore et, pas plus que Lafayette, ils n’osaient prendre une responsabilité. Enfin, devant la colère croissante du peuple et des soldats, Lafayette envoie un billet aux représentants pour leur dire qu’il n’était plus possible de résister. Ils lui envoient un ordre, mais en essayant encore de se couvrir : « L’Assemblée générale des représentants de la commune de Paris, vu les circonstances et le désir du peuple, et sur la représentation faite par M. le Commandant général qu’il était impossible de s’y refuser, a autorisé M. le Commandant général et même lui a ordonné de se transporter à Versailles ; lui recommande en même temps de prendre les précautions nécessaires pour la sûreté de la ville, et, sur le surplus des mesures à prendre, s’en rapporte à sa prudence. »

Non certes : ce n’était point de ces hommes timorés que pouvaient venir les grands mouvements. Paris avait été soulevé par la force du sentiment populaire, par l’énergie de ses ouvriers, de ses femmes et aussi par l’affiche insurrectionnelle de l’avocat Danton appelant aux armes ce remuant district des Cordeliers où les basochiens, qui y résidaient en grand nombre, les acteurs de la Comédie, qui rêvaient de jouer Brutus, donnaient à la Révolution un accent vigoureux et théâtral, qui sera la marque même du génie de Danton.

Le 6 octobre il est visible que la Révolution échappera à la bourgeoisie modérée, trop débile pour la conduire.

Lafayette pâlit en recevant le billet qui autorisait la marche sur Versailles : il détacha aussitôt, pour former l’avant-garde, trois compagnies de grenadiers et une de fusiliers avec trois pièces de canon. Sept à huit cents hommes, armés de fusils, de piques ou de bâtons, précèdent de deux cents pas cette avant-garde.

A cinq heures sept minutes, la garde nationale défile par le quai Pelle-