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HISTOIRE SOCIALISTE

avaient eu besoin de la force du peuple, restaient en contact avec lui. Le budget de Nantes, pour l’année 1790, mentionne l’achat de 1,172 uniformes de garde national au compte de la ville, qui les revendit à bas prix, évidemment pour ouvrir aux pauvres l’accès de la garde nationale. En même temps, la ville, dans la seule année 1790, dépensait 150.000 livres aux ateliers et chantiers municipaux afin qu’aucun ouvrier ne souffrît du chômage.

C’est sur les navires des puissants armateurs que plus d’une fois furent données des fêtes patriotiques et révolutionnaires, et la haute bourgeoisie de Nantes était si bien engagée dans le mouvement, elle avait si bien confondu sa vie avec la vie même de la Révolution, qu’elle a suivi celle-ci jusque dans le paroxysme de débauche et de cruauté de Carrier.

Chose étrange, et qui atteste je ne sais quelle prodigieuse exaltation tour à tour sublime et perverse, à l’heure même où Carrier décimait, noyait, souillait, non seulement l’aristocratie nantaise, mais la partie de la bourgeoisie suspecte de girondinisme, des femmes de haute classe, de la plus riche bourgeoisie, participaient à ses orgies de luxure et de sang. Le docteur Guépin avait la liste de ces femmes, il l’a détruite, mais il témoigne qu’elle comptait les noms les plus connus de la haute bourgeoisie.

Ainsi la fièvre révolutionnaire, après avoir allumé au cœur de la haute bourgeoisie bretonne de sublimes enthousiasmes, s’y convertissait à l’heure de la suprême crise en une sorte de fureur cruelle et de sadisme monstrueux, et une frénésie sensuelle et meurtrière continuait la mystique ardeur des premiers jours.

À Lyon, la vie municipale était bien plus passionnément populaire que ne le laissait supposer le choix des députés aux États-Généraux. Ceux-ci étaient presque tous d’un modérantisme extrême, et l’un des plus influents, Bergasse, affirmait la même politique que Mounier. Les cahiers des États-Généraux, comme je l’ai déjà noté, ne portaient aucune trace des revendications ouvrières. Mais peu à peu, dans l’enceinte de la commune, une lutte violente s’engagea entre la bourgeoisie modérée et la bourgeoisie démocrate, soutenue par les forces populaires.

Tout d’abord, en juin et juillet 1789, le peuple réclame avec véhémence la suppression des octrois, et comme le consulat résiste, il se porte aux barrières et les brise à Perrache, au faubourg de Vaise. Des détachements de dragons sont appelés de Vienne : mais le peuple armé les assaille. Les paysans, attirés par la nouvelle de la suppression des octrois, arrivent en grand nombre et font entrer en masse, par dessus les barrières détruites, tous les produits frappés la veille de lourds impôts ; le blé, le bétail, le vin, les soies entrent par grandes quantités, et tous les marchands, tous les entrepositaires s’empressent de s’approvisionner.

À la Guillotière, les femmes des ouvriers encouragent les paysans à entrer sans payer les droits. Il y a comme une coalition populaire des paysans