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HISTOIRE SOCIALISTE

s’était produite comme s’il était responsable du sang versé la veille. « Aux voix ! » criait l’Assemblée. Ceux qui ont vu ces sortes de déchaînements savent qu’il faut du courage à un orateur pour affirmer sa pensée contre la violence de l’orage. Pétion parla : « Le moment dans lequel je parle est peu favorable à l’opinion que je vais défendre. Je la défendrai cependant avec la plus intime conviction. Je dis que le premier article du projet des Comités, dans la partie que je vais exposer à l’Assemblée, est très funeste à la liberté de la presse. » (Rires ironiques.)

À gauche : « Oui ! funeste à Marat, Brissot, Laclos, Danton ! »

Pétion reprend : « Il est des expressions dans cet article à l’aide desquelles on pourrait rendre des jugements très arbitraires. (Applaudissements à l’extrême gauche.) Vous n’avez pas cru sans doute que mon dessein était de m’élever contre la totalité de l’article : du moins on n’a pas dû le croire ». (Murmures.)

Ainsi, Pétion, dès les premiers mots, se dérobait à la bataille. Il se borna à demander que le mot formellement fût joint au mot provoqué. Le rapporteur y consentit, et, avec cette addition, Pétion vota la loi nouvelle. Le torrent de réaction bourgeoise emportait tout.

Robespierre, menacé, chercha un abri chez le menuisier Duplay, rue Saint-Honoré. Desmoulins se cacha. Danton, pour plusieurs semaines, passa en Angleterre. Il y eut un moment ce que M. Robinet appelle « une Terreur constitutionnelle », ce que M. Aulard appelle « une petite Terreur bourgeoise ».

L’Assemblée, achevant dans un sens conservateur la révision de la Constitution, réprima, par une loi, les « calomnies » de la presse contre les fonctionnaires publics. Et elle remania, au profit des possédants, la loi du cens électoral. La loi d’éligibilité, qui exigeait quarante marcs d’argent d’impôt des députés, gênait la bourgeoisie ; elle écartait des fonctions publiques un certain nombre de bourgeois instruits et pauvres. Et elle n’offrait aux principes conservateurs qu’une médiocre garantie. Le Comité de Constitution demanda l’abolition du décret du marc d’argent ; toute condition de cens était supprimée pour l’éligibilité. Mais en même temps il élevait de beaucoup le cens électoral : les électeurs, c’est-à-dire ceux qui étaient choisis par les assemblées primaires pour désigner les députés, devaient, dans le nouveau projet, payer, non plus dix journées de travail d’impôt, mais quarante journées. Des députés de campagne, notamment Dauchy, remarquèrent qu’à ce taux il n’y aurait presque plus d’électeurs dans les campagnes. L’Assemblée modifia le système et elle décida enfin que pour faire partie de l’assemblée électorale, il faudrait « être propriétaire ou usufruitier d’un bien évalué sur les rôles de contribution à un revenu égal à la valeur locale de deux cents journées de travail dans les villes au-dessus de 6,000 âmes ; de cent cinquante journées dans les villes au-dessous de 6,000 âmes et dans les campagnes ; ou