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HISTOIRE SOCIALISTE

en disant que le reproche d’avoir donné trop peu d’influence à la propriété a été extrêmement exagéré.

« Sur ce point comme sur beaucoup d’autres on a absolument confondu les effets de l’état révolutionnaire avec ceux de la constitution. Les riches propriétaires étant, pour la plupart, émigrés, ont prononcé contre le nouveau régime ; et ceux mêmes qui étaient demeurés paisibles, étant devenus suspects au milieu de la fermentation générale, un très-petit nombre ont été élus aux places et on en a conclu que la constitution les en excluait, ou, du moins, ne les y appelait pas assez. »

« Cependant une observation plus attentive prouve que dans le petit nombre de citoyens riches et même d’anciens nobles qui ont adopté le nouvel ordre de choses assez clairement pour écarter les soupçons, la plupart ont été élus aux premières places, et l’ont emporté à cet égard sur beaucoup d’autres citoyens qui, avec beaucoup plus de capacités n’avaient pas les mêmes avantages de fortune.

« D’ailleurs le deuxième degré d’électeurs, avec quelques inconvénients, a pleinement réparé le peu que la loi exigeait de propriété dans les électeurs.
2o A l’exception de deux ou trois départements, où la fermentation révolutionnaire a été excessive, et où des villes anarchiques ont donné la loi à la masse du département, les corps électoraux constitués avant le 10 août, quoiqu’ils eussent été composés au milieu des troubles, des soupçons, des haines que la Révolution a enfantés, ont été formés de la partie la plus saine et la plus recommandable de la société : la presque totalité de leurs membres avaient plus de propriété non seulement que la loi n’en exigeait pour conférer les droits électoraux, mais qu’aucune loi raisonnable ne pourrait en exiger.

« Chacun d’eux joignait à la garantie résultant de sa fortune celle de la considération publique que le choix des assemblées primaires suppose. Dans les campagnes surtout, à l’exception de quelques personnes fortement prononcées contre la Révolution, les principaux citoyens ont été choisis pour électeurs. »

Cette vue générale de Barnave confirme ce que nous a montré déjà l’analyse sociale de quelques municipalités : c’est que la moyenne et la grande bourgeoisie avaient en 1791 la direction du mouvement révolutionnaire. Et même quand le peuple renversait la vieille bourgeoisie privilégiée d’ancien régime, c’est à de nouvelles forces bourgeoises qu’il faisait appel. Ainsi Vadier déclare dans son rapport sur les troubles de Pamiers en 1790 : « La révolution ne pouvait donc s’opérer à Pamiers que par la sainte insurrection d’un peuple opprimé. Les choses demeurèrent dans cet état précaire jusques au décret sur l’organisation des municipalités. C’est alors seulement que le peuple se mit à son aise, et qu’il usa de l’intégrité de ses droits. Au lieu de nommer ses sangsues ordinaires, ces vampires et ces frelons rapaces qui dévoraient depuis longtemps sa substance ; au lieu d’élire ceux qu’on appelait