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HISTOIRE SOCIALISTE

marchands a disparu sous les prohibitions, le débat porte seulement sur les tarifs. » (Voir Maurice Wahl.)

Les ouvriers allèguent que la cherté de la vie est croissante, et ils réclament un relèvement des salaires, des prix de façon. Ils constatent que la loi de l’offre et de la demande qui seule, dès lors, déterminait les salaires, est l’écrasement des faibles. Ils disent très nettement, dans le « Mémoire des électeurs fabricants de soie », « qu’entre des hommes égaux en moyens et en pouvoirs qui, par cette raison, ne peuvent être soumis à la discrétion des uns ni des autres, la liberté ne peut que leur être avantageuse ; mais à l’égard des ouvriers en soie, destitués de tous moyens, dont la subsistance journalière dépend tout entière de leur travail journalier, cette liberté les livre totalement à la merci du fabricant qui peut, sans se nuire, suspendre sa fabrication, et par là réduire l’ouvrier au salaire qu’il lui plaît de fixer, bien instruit que celui-ci, forcé par la loi supérieure du besoin, sera bientôt obligé de se soumettre à celle qu’il veut lui imposer ».

À plusieurs reprises, les maîtres-ouvriers et ouvrières essayèrent par de vastes coalitions de faire échec à ce pouvoir abusif des grands marchands. Malgré l’intervention violente de l’oligarchie consulaire et bourgeoise, qui prohibait les associations de compagnons, « les Sans-Gêne, les Bons-Enfants, les Dévorants, » et qui interdisait tout rassemblement ouvrier, il y eut un grand mouvement en 1744, dans toute la région du Lyonnais et du Forez. D’Argenson note, dans ses Mémoires, qu’à cette date 40,000 ouvriers avaient cessé le travail dans les manufactures de Saint-Étienne.

À Lyon, même soulèvement : désespérés, menacés de répressions brutales et sanglantes, les ouvriers tentaient de fuir vers la Suisse ou vers l’Italie. Mais des cordons de troupes les cernaient : l’émigration ouvrière était refoulée par la force, et les pauvres ouvriers étaient ramenés par les soldats à la manufacture ou au métier comme des forçats fugitifs ramenés au bagne. L’aristocratie marchande ne se défend pas seulement par la force brutale, par des règlements despotiques et que sanctionne l’autorité royale, elle exproprie les maîtres-ouvriers de leurs faibles droits. Il leur est interdit de travailler pour d’autres que les maîtres marchands : et ils sont à peu près exclus du bureau de la fabrique, sorte de conseil des prudhommes » qui jugeait des différends professionnels.

Avant la grève, les maîtres-ouvriers avaient dans ce bureau 4 délégués sur 8. Après la grève, ils n’en ont plus que 2. Ils sont livrés sans défense à l’arbitraire de la grande fabrique. Cette sorte de coup d’État capitaliste consommé avec la complicité du pouvoir royal surexcita les ouvriers de Lyon. Ils se soulevèrent contre le consulat, s’emparèrent de la ville. Pendant plusieurs jours ils en furent les maîtres et, de maison patronale en maison patronale, obligèrent les marchands à signer un règlement nouveau, et à donner de l’argent pour les ouvriers malades.