Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/112

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imposant aux prêtres le serment, ce même décret du 27 novembre 1790 qu’invoque un an plus tard la Législative.

Je ne puis m’expliquer ce silence étrange, cette lacune surprenante dans la pensée et dans l’action de Barnave que par son désir de jouer auprès du roi et de la reine un rôle secret. Il craignait sans doute en rappelant la part qu’il avait prise à la lutte contre l’Église et en demandant au roi de s’associer aux mesures nouvelles de la Révolution, de blesser la conscience de Louis XVI au point le plus douloureux et de compromettre à jamais son autorité de conseiller, son crédit de ministre occulte.

À la Législative même, le mouvement révolutionnaire en faveur de la loi avait été si vif que la résistance des modérés avait été très incertaine. Tous les orateurs constatent que c’est à une immense majorité que les articles les plus sévères sont adoptés. Mais voici qu’à peine la loi votée, les Feuillants commencent une campagne contre elle ; et les membres du Directoire du département de Paris, s’engagent à fond par la démarche la plus grave, la plus dangereuse. Une loi de la Constituante, comme nous l’avons vu, interdisait les pétitions collectives des corps constitués. Les membres du directoire tournèrent la difficulté en signant à titre individuel mais ils ajoutaient à leur nom leur qualité de membres du directoire.

C’est le 8 décembre que Germain, Garnier, Brousse, Talleyrand-Périgord, Beaumes, La Rochefoucauld, Desmeunier, Blondel, Thion de la Chaume, Anson et Davais firent paraître leur adresse au roi. Ils le suppliaient de ne pas sanctionner une loi, suivant eux inquisitoriale et intolérante, qui obligerait les administrateurs à forcer le secret des consciences de tous les prêtres ; qui, en interdisant certaines formes de culte, surexciterait les passions religieuses et qui ramènerait en pleine Révolution le despotisme et l’arbitraire :

« Vainement on dira que le prêtre non assermenté est suspect ; et sous le règne de Louis XIV les protestants n’étaient-ils pas suspects aux yeux du gouvernement lorsqu’ils ne voulaient pas se soumettre à la religion dominante ? et les catholiques n’ont-ils pas été longtemps suspects en Angleterre ?

« Que l’on surveille les prêtres non assermentés, qu’on les frappe sans pitié au nom de la loi, s’ils l’enfreignent, mais que jusqu’à ce moment on respecte leur culte comme tout autre culte… »

Les modérés n’oubliaient qu’une chose : c’est qu’il y avait à ce moment même, dans plusieurs régions de la France, un commencement de guerre civile. Ils prétendaient que Paris devait à la politique tolérante de ses administrateurs la paix religieuse dont ils jouissaient ; ils oubliaient qu’à Paris l’ignorance et le fanatisme étaient moindres qu’en Vendée. Sans doute le Directoire de Paris fut inspiré par les Feuillants qui voyaient avec crainte la Révolution, qu’ils avaient cru immobiliser, reprendre sa marche. Une fois engagée dans la lutte religieuse, c’est aux partis de gauche, aux partis de vigueur et de combat qu’elle se livrerait. Le Directoire de Paris, mécontent