Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/140

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droits de la nation, elle ne les outragera point dans les autres hommes. Jalouse de son indépendance, résolue à s’ensevelir sous ses ruines plutôt que de souffrir qu’on osât lui dicter des lois, ou même garantir les siennes, elle ne portera point atteinte à l’indépendance des autres nations. Ses soldats se conduiront sur une terre étrangère comme ils se conduiraient sur celle de leur patrie s’ils étaient forcés d’y combattre, les maux involontaires que ses troupes auraient fait éprouver aux citoyens seront réparés… La France présentera au monde le spectacle nouveau d’une nation vraiment libre, soumise aux règles de la justice, au milieu des orages de la guerre et respectant partout, en tout temps, à l’égard de tous les hommes, les droits qui sont les mêmes pour tous. » (Applaudissements.)

Évidemment Condorcet répugne à la guerre. Il en reconnaît ou paraît en reconnaître la nécessité : mais on dirait que renonçant à contrarier directement le mouvement belliqueux il essaie une sorte de diversion en rappelant la Révolution à son idéal pacifique. Surtout il semble redouter « la guerre de propagande ». Il comprend que libérer les autres peuples par la force ce serait encore les asservir. Quelques jours avant, l’orateur populaire Louvet s’était écrié à l’Assemblée, avec un lyrisme extraordinaire : « La guerre ! et qu’à l’instant la France se lève en armes. Se pourrait-il que la coalition des tyrans fût complète ? Ah ! tant mieux pour l’univers ! Qu’aussitôt, prompts comme l’éclair, les milliers de citoyens soldats se précipitent sur tous les domaines de la féodalité ! Qu’ils ne s’arrêtent qu’où finira la servitude ; que les palais soient entourés de baïonnettes ; qu’on dépose la Déclaration des Droits dans les chaumières ; que l’homme, en tous lieux instruit et délivré, reprenne le sentiment de sa dignité première ! Que le genre humain se relève et respire !Que les nations n’en fassent plus qu’une ; et que cette incommensurable famille de frères envoie ses plénipotentiaires sacrés, jurer sur l’autel de l’égalité du droit, de la liberté des cultes, de l’éternelle philosophie, de la souveraineté populaire, jurer la paix universelle ! »

Cet enthousiasme démesuré inquiétait Condorcet : il prévoyait qu’à vouloir réaliser par les armes la fraternité universelle et l’universelle paix la France de la Révolution risquerait d’accroître les conflits et les haines ; que d’ailleurs aucune négociation séparée avec divers États ne restait possible dans ce système. Et il demandait que les lois des autres peuples et leurs préjugés mêmes fussent respectés.

Mais, n’était-ce point ôter à l’esprit de guerre un de ses aliments ? Condorcet, en mathématicien qui calcule les forces, semblait renoncer à refouler l’extraordinaire mouvement guerrier déchaîné depuis des mois : mais il s’appliquait à le contenir.

Le journal de Prudhomme et Robespierre luttent directement : ils essaient de briser le courant de guerre plus violent tous les jours. Dans le numéro du 17 au 24 décembre, les Révolutions de Paris publient un vigou-