Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/142

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ils virent le mouvement presque irrésistible des esprits que, conseillés par Narbonne, ils songèrent à l’utiliser, à prendre la direction des opérations. Mais au moment où parlait Robespierre, il était bien vrai que la guerre serait, en tout cas, conduite par la Cour et rattachée par elle à son plan de contre-révolution.

« Si des traits ingénieux, si la peinture brillante et prophétique des succès d’une guerre terminée par les embrassements fraternels de tous les peuples de l’Europe sont des raisons suffisantes pour décider une question aussi sérieuse, je conviendrai que M. Brissot l’a parfaitement résolue ; mais son discours m’a paru présenter un vice qui n’est rien dans un discours académique, et qui est de quelque importance dans la plus grande de toutes les discussions politiques ; c’est qu’il a sans cesse évité le point fondamental de la question pour élever à côté tout son système sur une base absolument ruineuse.

« Certes, j’aime tout autant que M. Brissot une guerre entreprise pour étendre le règne de la liberté, et je pourrais me livrer aussi au plaisir d’en raconter d’avance toutes les merveilles. Si j’étais maître des destinées de la France, si je pouvais, à mon gré, diriger ses forces et ses ressources, j’aurais envoyé dès longtemps une armée en Brabant, j’aurais secouru les Liégeois et brisé les fers des Bataves ; ces expéditions sont fort de mon goût ; je n’aurais point, il est vrai, déclaré la guerre à des sujets rebelles ; je leur aurais ôté jusqu’à la volonté de se rassembler ; je n’aurais pas permis à des ennemis plus formidables et plus près de nous (la Cour) de les protéger et de nous susciter au dedans des dangers plus sérieux. Mais dans les circonstances où se trouve mon pays, je jette un regard inquiet autour de moi, et je me demande si la guerre que l’on fera sera celle que l’enthousiasme nous promet : je me demande qui la propose, comment, dans quelles circonstances et pourquoi ?

« C’est là, c’est dans notre situation toute extraordinaire que réside toute la question. Vous en avez sans cesse détourné vos regards ; mais j’ai prouvé ce qui était clair pour tout le monde, que la proposition de la guerre actuelle était le résultat d’un projet formé dès longtemps par les ennemis intérieurs de notre liberté ; je vous en ai montré le but ; je vous ai indiqué les moyens d’exécution ; d’autres vous ont prouvé qu’elle n’était qu’un piège visible ; il n’est personne qui n’ait aperçu ce piège en songeant que c’était après avoir constamment protégé les émigrations et les émigrants rebelles, qu’on proposait de déclarer la guerre à leurs protecteurs, en même temps qu’on défendait encore les ennemis du dedans, confédérés avec eux.

« Vous êtes convenu vous-même que la guerre convenait aux émigrés, qu’elle plaisait au ministère, aux intrigants de la Cour, à cette faction nombreuse dont les chefs trop connus dirigent depuis longtemps toutes les démarches du pouvoir exécutif. Toutes les trompettes de l’aristocratie et du