Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/156

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l’ordre est donné au maréchal de Bender de faire marcher un corps de troupes au secours de l’électeur s’il était attaqué. Tout cela ne change point essentiellement l’état des choses. L’électeur a dit qu’il ne permettrait point de rassemblements chez lui ; on ne lui a pas demandé plus, donc il n’y a pas de motif d’attaquer, mais les princes français voudraient profiter de l’occasion pour entamer la querelle, et en cela ils suivent un faux système, au lieu de laisser à l’Assemblée tout le tort et le blâme dont elle se couvrira en faisant une agression injuste, faute qu’il est clair qu’elle commettra et qui lui attirera le ressentiment de toute l’Europe. Il est donc de bonne politique de tout ramener à ce plan ; cela posé, on croit que l’on ne peut faire mieux que de garder la même contenance et le même maintien jusqu’à ce que ceci prenne un développement décidé. Les nouvelles de Vienne, où sans doute on aura envoyé, traceront une marche certaine. Il est moralement impossible que l’on finisse sans guerre civile ou étrangère ; il est même probable que l’une et l’autre auront lieu en même temps. Quelque critique que soit une pareille chance, elle peut relever le trône plus promptement, plus sûrement que toute autre, et si on ne fait point de fautes, si on s’attire et conserve l’opinion, on se verra en meilleur terrain que l’on n’a jamais été ci-devant. »

Puisque la guerre commençait à paraître inévitable, les conseils de Barnave n’étaient plus pour la Cour qu’un fardeau. Elle le secoua.

On devine que l’office de l’Empereur, communiqué à l’Assemblée le 31 décembre, fournit à Brissot une occasion nouvelle de presser les hostilités, d’engager la Révolution dans la guerre.

Le 17 janvier, dans le débat sur le rapport de Gensonné, il s’écria : « Le masque est enfin tombé, votre ennemi véritable est connu ; l’ordre donné au général Bender vous apprend son nom ; c’est l’Empereur. Les électeurs n’étaient que des prête-noms, les émigrants n’étaient qu’un instrument dans sa main. C’est à la Haute-Cour à venger la nation de la révolte de ces princes mendiants. (Applaudissements dans les tribunes.)

« Cromwell força la France et la Hollande à chasser Charles. Une pareille persécution honorerait trop les princes : saisissez leurs biens et abandonnez-les à leur néant. (Applaudissements.)

« Les électeurs ne sont pas plus dignes de votre colère : la peur les fait prosterner à vos pieds. (Applaudissements.)

« Cependant leur soumission peut n’être qu’un jeu ; mais qu’importe à une grande nation cette hypocrisie de petits princes ? L’épée est toujours dans vos mains et cette épée doit nous répondre de leur bonne conduite pour l’avenir.

« Votre ennemi véritable c’est l’Empereur ; c’est à lui, à lui seul, que vous devez vous attacher ; c’est lui que vous devez combattre. Vous devez le forcer à rompre la ligue qu’il a formée contre vous ou vous devez le vaincre. Il n’y a pas de milieu, car l’ignominie n’est pas un milieu pour un peuple libre. » (Applaudissements.)