Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/161

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les amis de Brissot qui « paraissent redouter que des démarches satisfaisantes, que des actes sincères, qu’une paix solide ne leur enlèvent leur chimère ».

« Il ne faut pas, ajoute-t-il, que le peuple abusé voie dans ce vœu terrible une mesure de patriotisme ; son courage n’a pas besoin d’être excité ; vouloir ou ne vouloir pas la guerre, sont deux choses également absurdes ; il faut la faire si pour le maintien de la Constitution elle est inévitable ; mais il ne faut pas la rendre inévitable pour la faire. »

Mais que pouvait ce calme langage ? Daverhoult, qui avait poussé, comme nous l’avons vu, aux premières démarches vigoureuses contre les émigrés et les électeurs et qui avait ainsi ouvert les voies de la guerre générale, s’effraie maintenant des vastes plans belliqueux de la Gironde et il les dénonce avec force et précision.

« Si donc j’ai prouvé que cette ligue des princes n’est que défensive, qu’il dépend de nous seuls de déjouer par nos opérations intérieures les desseins de ceux qui voudraient modifier notre constitution dans un congrès, s’il n’est pas moins prouvé que tous les princes ont besoin de la paix, et déjà ils vous en ont donné la preuve en dispersant les attroupements qui portaient atteinte à votre tranquillité intérieure, que deviennent alors les phrases de ceux qui voudraient vous exciter à faire une guerre injuste ?

« Ce n’est pas devant vous, et dans une discussion où il s’agit du salut de la chose publique que je sais composer avec la vérité.

« L’on vous induit en erreur lorsque, bâtissant sur des hypothèses et en vous circonvenant de vaines terreurs, l’on veut vous engager à attaquer l’Empereur pour forcer cette ligue de princes à prendre le caractère offensif ; car, la déclaration que le traité de 1756 est rompu et la satisfaction qu’on demande équivalent à une déclaration de guerre. C’est donc par une misérable équivoque qu’on a opposé, dans cette tribune, la dignité de la nation française à celle d’un seul homme couronné. Tant que les nations nos voisines n’auront pas changé leur gouvernement, l’homme qui est à leur tête est leur représentant de fait, et sa dignité devient la dignité nationale.

« Je ne vous répéterai pas que le traité avec l’Autriche vous est onéreux, toute la France le sait : il est inutile d’en donner des preuves, et ce n’est pas ici qu’on doit débiter des lieux communs ; mais ce qui est digne de votre attention, c’est d’examiner si c’est dans l’instant où vous n’avez aucun autre allié, où toutes les liaisons entre les différentes cours sont formées, que vous devez, non seulement rompre ce traité, mais forcer Léopold à la guerre, sur l’espoir douteux que d’autres puissances formeront des traités avec vous.

« Est-ce d’après des données aussi incertaines que nous devons agir, messieurs, lorsqu’il s’agit du salut public ? et, s’il m’est permis de me servir d’une phrase aussi triviale, est-ce en bâtissant des châteaux en Espagne que nous défendrons la liberté et la constitution française ?

« Ne vous le dissimulez pas, l’Empereur et la Prusse qui, seuls, ont