Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/174

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indiquée dans ses déclarations de Padoue, et qu’il avait trompé les puissances ; il a été forcé d’en convenir. »

Ainsi la reine compte que le roi et son fils paraîtront si nécessaires à la nation que celle-ci les épargnera même au cours d’une guerre entreprise en leur nom et pour eux. Et il ne lui vient pas un instant à la pensée qu’il est abominable de trahir un peuple qui est attaché encore à son roi par de tels liens ! Au moment même où elle croit que l’ascendant du roi dominera la nation même dans l’effroyable crise d’une guerre déclarée pour le roi, elle ne songe pas qu’à être le serviteur fidèle de la Constitution et du peuple il aurait sans péril une autorité immense et douce !

Mais ici encore, notez que Mercy tient à Simolin « son langage habituel », c’est-à-dire qu’il s’efforce autant que possible d’amoindrir les chances de guerre, de rabattre les fumées d’orgueil et d’étourderie. Lui-même d’ailleurs l’écrit à Marie-Antoinette, le 11 février :

« Je ne saurai assez répéter qu’il serait injuste de rejeter sur l’empereur des hésitations et des retards ; qui ne dépendent point de lui. Il est évidemment démontré que ce monarque, qui se trouve le premier à la brèche, n’est dans le fait secondé efficacement par personne. On lui excite mille tracasseries, on lui cause mille embarras ; l’Angleterre contrarie toutes les mesures, et les princes français les déjouent d’une autre manière. J’ai recueilli le peu de forces qui me restent pour avoir avec M. Simolin un entretien bien substantiel sur l’état des choses. Je lui ai dit, et le langage qu’il convenait de tenir à Vienne, et la manière la plus utile d’y montrer les objets tels qu’ils sont. Je crois qu’il s’acquittera bien de la commission… L’explosion ne peut manquer d’être très prochaine, mais l’essentiel est qu’elle soit générale, et on a recommandé particulièrement de surveiller l’Espagne… »

Encore des tactiques d’ajournement. Léopold trouve que les émigrés demandent trop, et que l’Angleterre ne fait pas assez, et il lie si bien son action à une action universelle de l’Europe, en ce moment impossible, qu’en réalité il se dérobe. Mercy avait comme alourdi Simolin, à son passage à Bruxelles, de ces décourageantes pensées. Amortir toutes les passions et gagner du temps était la seule pensée de l’empereur, de Kaunitz et de son confident Mercy.

Cependant la décision de la reine était bien prise, car elle venait d’appeler Fersen auprès d’elle. Celui-ci jouant sa tête, partait déguisé de Bruxelles, le samedi 11 février à neuf heures et demie. La reine savait que Fersen était pour la guerre, et si elle le priait de venir, c’était pour confirmer en elle cette résolution dangereuse ; elle avait besoin, à la veille de cette crise formidable, d’avoir à côté d’elle un cœur qui sentait comme le sien. Jamais sa solitude n’avait été plus profonde. Les conseils des constitutionnels, de Lameth, de Duport, lui étaient cruellement importuns, puisqu’elle voulait la guerre et qu’ils ne la voulaient pas.