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« 5o Que le gouvernement français reconnaisse la validité des traités qui subsistent entre lui et les autres puissances de l’Europe. »

Rien qu’à formuler ces conditions, l’empereur aurait soulevé la France. Mais il veut éviter encore ce qui peut amener une explosion.

« La nation française, écrit Mercy, est divisée en différents partis. Il est précieux d’entretenir cette division ; elle seule peut opérer sans de violentes secousses la ruine de la Constitution. Si cette dernière est ouvertement attaquée par le dehors, alors tous les partis se réuniront pour la défendre, et la nation entière, cédant au prestige de sa prétendue liberté et égalité, croira devoir lui faire le sacrifice de ses dissensions intérieures. »

Et même en ce qui concerne les conditions précises et, semble-t-il, provocatrices, énumérées plus haut, Mercy ajoute, dans la même lettre du 16 février :

« Pour donner à ces propositions et déclarations le poids nécessaire à les faire valoir, l’empereur offre indépendamment de son armée déjà existante aux Pays-Bas, de faire marcher quarante mille hommes, pourvu que le roi de Prusse convienne d’employer une force égale au succès du plan proposé ; ces forces ne doivent pas débuter par être actives, et ne peuvent même le devenir qu’autant que la nation française, par quelque acte de violence et une réticence invincible, n’amenât par son propre fait les choses à un terme extrême. »

Toute cette politique de l’Autriche est encore ambiguë, suspendue, et ce n’est vraiment pas un torrent de guerre que la Révolution avait à refouler ou à détourner. Il semble bien que si elle l’eût voulu, elle aurait eu quelques chances de sauver la paix sans abdication, sans concession aucune. Marie-Antoinette vit très bien qu’il y avait encore là des moyens dilatoires, et le 2 mars elle répond à Mercy :

« La nation est en effet divisée en différents partis, mais il n’y en a qu’un seul dominant tous les autres. Soit lâcheté, indolence ou division même intérieure dans leurs opinions, aucun n’ose se montrer, il n’y a qu’une force extérieure, et quand ils seront sûrs d’être soutenus, qu’ils auront le courage de se prononcer pour leur vrai intérêt et ceux du roi. Les idées de l’empereur sont bonnes, et les articles de la déclaration me paraissent bien, mais tout cela aurait été mieux il y a six mois. Cela fera perdre encore du temps, et on n’en perd pas ici contre nous. Chaque jour amène sa calamité et aggrave le mal. La perte de toutes les fortunes particulières, la banqueroute, la cherté des grains, l’impossibilité de les transporter d’un endroit à un autre, le manque total du numéraire et le peu de confiance que l’on a dans le papier, et enfin la manière dont on avilit tous les jours davantage la puissance du roi, soit dans des écrits et paroles, soit en tout ce qu’on l’oblige de dire, d’écrire et de faire, tout annonce une crise prochaine, et s’il n’y a pas un soutien extérieur, comment pourra-t-il faire tourner cette crise à son avantage ? »